« La région, en proie aux ingérences extérieures, a peu de chance de se démocratiser de sitôt », estime Sébastien Boussois.
A voir ce qu’il se passe depuis plusieurs semaines, dans le monde méditerranéen musulman, de l’Egypte à l’Algérie en passant par le Soudan, bien mal inspiré celui qui pourrait donner un pronostic sur les chances de démocratisation de cette région en grande difficulté.
Au début de ce que l’on avait appelé, à tort, les « Printemps arabes », en 2011, le vent d’espoir et de liberté qui soufflait sur la Tunisie, le Maroc, la Libye, la Syrie, le Yémen et l’Egypte, notamment, laissait présager le meilleur. Bien sûr, l’on savait que le chemin révolutionnaire serait long et pavé de mauvaises intentions. Mais un pays a commencé sa transition démocratique dès cette époque, la Tunisie, et l’on croyait que ce laboratoire local diffuserait son inspiration et son courage.
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Aujourd’hui, huit ans après, force est de constater que même la Tunisie, à l’approche de son élection présidentielle, n’est pas tirée d’affaire. Certes, une nouvelle constitution a vu le jour grâce à la force et l’efficacité de la société civile. Mais la crise économique qui avait déclenché la révolution est plus enracinée que jamais. Le premier parti du pays reste le parti islamiste Ennahdha, affilié aux Frères musulmans.
Quid des autres pays ? Certains ont enclenché une timide ouverture, comme le Maroc, également dès 2011. D’autres ont basculé dans la guerre et la destruction, à l’instar de la Libye et de la Syrie, ou encore du Yémen, depuis plusieurs années. Tandis que d’autres encore ont vu leur espoirs démocratiques anéantis (Bahreïn, Egypte).
Partant, l’acte II de ces « Printemps arabes », en Algérie, au Soudan mais également en Egypte, pourrait laisser le rêveur impénitent et le novice en géopolitique plein d’optimisme. Malheureusement, la région, en proie aux influences et ingérences extérieures, a peu de chance de se démocratiser de sitôt. Surtout si les peuples ne réagissent pas à temps – ce que tentent de faire les Algériens.
Dessein obscurantiste
Au Soudan, exit le président-dictateur Omar el-Béchir, remplacé par un chef d’Etat-Major. En Egypte, son homologue Hosni Moubarak a quant à lui tiré sa révérence il y a longtemps, mais pour céder sa place à un militaire, Abdel Fatah al-Sissi, qui maltraite de manière autoritaire la constitution. En Algérie, il s’en est fallu de peu pour que le chef d’Etat-Major, Ahmed Gaïd Salah, s’empare du pouvoir, après la démission de Bouteflika, « en attendant ». Le président du Conseil de la Nation, la chambre haute du Parlement algérien, Abdelkader Bensalah, a fini par accéder à la présidence par intérim.
Tous ces pouvoirs fort sont soutenus par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, qui par pays interposés tentent de venir à bout de leurs ennemis historiques : les Frères musulmans (cités plus haut). Aussi sont-ils prêts à tout pour écarter un scrutin électoral risqué, qui pourrait voir le retour en force des islamistes dans ces pays.
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A présent, on peut continuer à croire aux « Printemps des Peuples » et au principe d’autodétermination dans le monde arabo-musulman. On peut aussi dénoncer violemment ce que certains leaders régionaux cherchent à faire en dépit de la volonté populaire. Car le projet global des Saoudiens et des Emiratis n’est pas autre chose que d’installer une nouvelle chape de plomb militaire sur la région. Ils y sont parvenus en Egypte, ils espèrent encore y parvenir au Yémen. Leur soutien aux armées locales, ainsi qu’à leurs dirigeants, est le pire obstacle à l’érection de régimes transitionnels démocratiques.
La vision radicale d’une stabilité régionale par la force armée n’est pas nouvelle chez ces régimes. L’Algérie résiste pour l’instant en tenant Gaïd Salah à l’écart, mais pour combien de temps ? Quel contre-poids ou contre-pouvoir, si ce n’est celui du peuple, permettra de mettre définitivement à mal le dessein obscurantiste de Riyad et d’Abou Dabi pour le Maghreb et le Proche-Orient ? De 2019 à 2021 vont s’échelonner des élections cruciales pour la région, en Algérie, en Tunisie et au Maroc, entre autres. Quid pour les pays qui n’ont même pas de scrutin en vue ?
Dernier livre de Sébastien Boussois : Pays du Golfe, les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019).
