En Tunisie, avènement de Kaïs Saïed « le populiste »

Qu’il semble loin, le temps où la Tunisie recevait le prix Nobel de la paix, en 2015, pour sa transition démocratique.

Le président tunisien se laisserait-il tenter par une carrière d’autocrate ? Kaïs Saïed a publié, mercredi dernier, des décrets présidentiels renforçant le pouvoir quasi total qu’il s’était octroyé il y a deux mois. Au menu : suspension continue des pouvoirs du Parlement ; suspension de l’immunité de tous les législateurs contre les poursuites judiciaires ; gel des salaires de ces mêmes législateurs.

Si le chef de l’État tunisien se garde bien de reconnaître explicitement le moindre glissement autoritaire, difficile de nier que le pouvoir législatif – l’un des trois pouvoirs dont la séparation, pour rappel, constitue la base de toute démocratie -, en Tunisie, en prend pour son grade. Sans parler de l’intention de Kaïs Saïed, désormais, de gouverner par décret présidentiel uniquement…

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L’agence américaine Associated Press (AP) a, semble-t-il, trouvé les bons mots pour résumer la situation politique, dans ce pays du Maghreb : « Les lois ne passeront plus par le Parlement, dont les pouvoirs sont gelés, ce qui [confère à Kaïs Saïed] un pouvoir quasi illimité ». Le limogeage, le 25 juillet dernier, du Premier ministre tunisien ne faisant que renforcer cette impression de coup d’État.

Prix Nobel de la paix

Impression seulement ? Pour le professeur de droit Mouna Kraïem, les nouvelles mesures prise sous couvert d’état d’urgence équivalent à « l’instauration d’une dictature dans le plein sens du terme ». Certes, le chef de l’État a nié vouloir revêtir des atours autoritaires, assurant que toute réforme passerait par la voix du référendum. Mais ses détracteurs restent, évidemment, sceptiques face à ces manœuvres.

Populisme. Voilà le mot qu’ils emploient volontiers pour dénoncer le torpillage d’une décennie d’apprentissage démocratique en Tunisie. 2011-2021 : une parenthèse qui viendrait, éventuellement, de se refermer par l’action du « personnage suprême », invoquant la corruption, les échecs socio-économiques et la crise sanitaire due au coronavirus pour passer à l’action.

Fallait-il pour autant nier le cœur même du fonctionnement démocratique ? Fallait-il faire rougir de honte et de remords les membres de l’Académie royale des sciences de Suède, qui regretteraient subitement d’avoir décerné, en 2015, à la Tunisie, le prix Nobel de la paix pour sa transition démocratique en bonne voie ? Reste à voir quelle sera la version du populisme de Kaïs Saïed…

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