Un bureau de l’ONUCT à Doha : le Qatar poursuit sa lutte contre le terrorisme

Le petit émirat fait plus que jamais le choix du multilatéralisme pour lutter contre ce fléau planétaire, estime Sébastien Boussois.

Le 26 novembre dernier, l’annonce d’un accord signé par le président qatari du Conseil de la Choura, Ahmed ben Abdallah ben Zaid al-Mahmoud, avec le sous-secrétaire général du Bureau de lutte contre le terrorisme de l’ONU, Vladimir Voronkov, est une preuve de plus que le Qatar fait à nouveau le choix des institutions internationales pour contribuer à la lutte contre ce fléau mondial.

Terrorisme d’État

Cet accord consistera en l’ouverture d’un bureau de l’ONUCT et le développement d’un programme onusien spécial de prévention et de formation à la lutte contre le terrorisme à destination des parlementaires du monde entier. Les objectifs sont déjà clairs et précis : mise en place de commissions parlementaires internationales dédiées au sujet, création d’une plateforme Internet et production de contenus de sensibilisation au terrorisme labellisé Nations unies à destinations des parlementaires, production d’analyses et d’études internationales, renforcement de la diplomatie parlementaire en la matière ainsi que la coopération…

A l’occasion des 75 ans de l’organisation onusienne, c’est assurément un gros coup pour le Qatar, régulièrement qualifié par ses voisins d’agitateur et de pourvoyeur de terroristes dans le monde arabe – et dans le monde en général. Niant leur propre responsabilité dans l’engrenage de plusieurs conflits régionaux – dont ceux en Libye et au Yémen -, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU), qui décidèrent la mise en place du blocus contre le Qatar le 5 juin 2017, étaient les premiers à user de ces arguments contre Doha.

Au-delà du fait que ces accusations n’ont jamais fait l’objet de preuves, elles posent la question de ce que l’on appelle « terrorisme », mais surtout, dans la région, de ce que l’on appelle lutte contre le terrorisme. Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Pour quel intérêt final ? La guerre au Yémen menée depuis bientôt six ans par Riyad et Abou Dhabi s’apparente, au-delà du combat acharné contre les Houthis soutenus par l’Iran, à un terrorisme d’État par les méthodes. Près de 400 000 morts plus tard, avec de nombreux crimes de guerre, des camps de torture dénoncés par les organisations humanitaires et l’emploi de mercenaires en dehors de tout cadre légal international, Mohammed ben Salman et Mohammed ben Zayed continuent de clamer à qui veut bien les entendre encore, que leur guerre serait « juste », et que le Qatar serait en sous-main l’agitateur numéro un en matière de terrorisme dans le monde arabe.

Action collective

Il faut aller bien plus loin pour comprendre que les accusations de l’Arabie saoudite et des Émirats paraissent peu fondées. Car Doha, dans un contexte de retour au bilatéralisme, a fait le choix depuis plusieurs années du multilatéralisme et de celui des Nations unies. La confiance de l’ONUCT n’en est que la preuve manifeste. Qu’a fait Doha précisément pour lutter contre l’extrémisme violent ? En janvier 2006, le Qatar, avec le Pérou, le Ghana et la Slovaquie, a été élu membre non permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, pour deux ans. Depuis que Doha a pu bénéficier de cette expérience unique, l’émirat a participé à l’élaboration d’un certain nombre de résolutions, qui concernaient aussi bien la « guerre des 33 jours » au Liban, en 2006, que la guerre d’Israël contre Gaza en 2008.

Pour Mutlaq al-Qahtani, envoyé spécial du ministre qatari des Affaires étrangères pour la résolution des conflits et pour le contre-terrorisme, les choses sont limpides :

« Avec les Printemps arabes, notre position était très claire : soutenir les souhaits des gens qui défendaient la démocratisation de la Tunisie à l’Égypte. Cela a déplu à nos voisins saoudiens, émiratis et bahreïnis, et c’est pour cela qu’ils ont bloqué les processus révolutionnaires pour maintenir leur pouvoir. Aujourd’hui, s’ils ont cherché à nous bloquer, c’est pour essayer d’en finir avec la liberté de ton du Qatar. Mais nous sommes souverains, et suivrons toujours le cadre des Nations unies pour notre action. Mon rôle d’envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères pour le contre-terrorisme est unique dans tout le Moyen-Orient, et je le dis d’autant plus facilement que malgré les tensions, nous avons toujours joué un rôle important dans la réflexion autour de la lutte contre le terrorisme chez nous et auprès des Nations unies », estimait-il en 2018.

En réalité, le Qatar tient à une chose fondamentale, en matière de droit international : la défense de la responsabilité de protéger, c’est-à-dire être prêt à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, pour venir en aide aux populations dont les autorités nationales n’assureraient manifestement pas la protection contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Si cela peut paraître à la fois très arrogant, voire prétentieux, de la part d’un si petit pays, il faut bien comprendre que bon nombre de ses actions se font avec le soutien des États-Unis, de l’Europe et des Nations unies en priorité. Ainsi Doha avait-elle accueilli le 7e meeting du « National R2P Focal Points », les 24 et 25 avril 2017.

Financements

Cette tradition de réflexion au Qatar est ancienne et ne pourrait s’accommoder, dans le même temps, d’une politique d’alimentation du terrorisme dont l’accusent ses détracteurs. Il suffit de se replonger dans l’histoire récente de l’émirat pour l’illustrer, et l’on peut au moins trouver quatre raisons démontrant que l’accusation de Riyad et d’Abou Dhabi manque de fondements. Concernant les « foreign terrorist fighters » (FTF), sur 40 000 combattants étrangers partis rejoindre les rangs de Daech (acronyme arabe de l’État islamique, ndlr), une dizaine seulement venait du Qatar, alors que près de 1 000 venaient de Libye, 5 000 venaient de Tunisie, 3 000 d’Arabie saoudite.

Concernant le financement du groupe islamiste, devenu en l’espace de trois ans la plus importante organisation terroriste de l’histoire, 95 % du financement venait de l’intérieur même de l’Irak et de la Syrie. 3 % seulement provenaient de l’extérieur. Qui étaient donc les véritables financeurs de Daech ? Tous les pays voisins qui ont acheté le pétrole de Daech. Le Qatar en a-t-il acheté ? Bien sûr que non, puisqu’il n’en a pas besoin. Et comment pourrait-on oublier que le gros des bombardements de la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite partait d’Al-Oudeid, la base militaire américaine sur le sol Qatari, et certainement pas de Riyad ou d’Abou Dhabi ?

Ensuite, le Qatar a proposé l’établissement de plusieurs organisations pour développer le contre-terrorisme, impliquant les plus importants acteurs internationaux. C’est le cas du Forum global contre le terrorisme, dirigé par Doha et qui comprend près de 30 pays, plus l’Union européenne (UE). L’objectif ? Émettre à l’issue de la réunion plusieurs recommandations allant dans le sens d’une lutte globale contre les agents du terrorisme. Autre point fort : l’existence du GCERF (Global Committee Engagement and Resilience Fund), basé à Genève et chargé de nombreux projets dans le monde depuis le Kosovo, le Myanmar, la Tunisie, la Somalie, l’Afghanistan, les Philippines, entre autres. Soit autant de zones où les conflits, les tensions et autres actes terroristes constituent un danger pour la sécurité globale.

Premières élections

L’objectif de Doha ici est résolument de favoriser la coopération régionale, dont se sont exclues Riyad et Abou Dhabi, mais à laquelle participent l’UE, les États-Unis, la Suisse, le Canada, le Japon, sur des zones de guerre où il est encore possible de s’interposer. Ainsi, dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations unies, Doha était par exemple intervenue – jusqu’au blocus saoudien en 2017 -, avec ses troupes, entre Djibouti et l’Érythrée, avant que l’Arabie saoudite ne fasse pression sur les forces en présence, et n’oblige les Qataris à retirer leurs 450 hommes. Les affrontements reprirent jusqu’à la paix, finalement signée en juin 2018 avec l’Arabie saoudite aux manettes et les Nations unies…

Comment comprendre l’attitude des voisins du Qatar, quand quelques jours seulement avant le déclenchement du blocus, le 21 mai 2017, les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG), Qatar compris, signaient un accord de partenariat pour la création d’un centre de lutte contre le financement du terrorisme qui serait basé à Riyad ? Le TFTC (« Terrorist Financing Targeting Center ») était une initiative américano-saoudienne. Si le Qatar a signé comme tous les autres cette initiative, c’est parce que l’appui de Washington était d’une importance capitale en termes d’expérience des mécanismes de financement du terrorisme.

D’ailleurs, la coopération du Qatar avec les États-Unis n’a cessé, depuis, notamment dans le cadre des pourparlers de paix avec les talibans, en Afghanistan, qui ont vu les efforts redoublés de Doha, malgré la difficulté, salués récemment par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo. L’ouverture du bureau de l’ONUCT, prochainement, qui se concentrera sur la formation des parlements internationaux à la question du terrorisme, tombe à point nommé, alors que l’émir du Qatar a annoncé dernièrement les premières élections au Conseil de la Choura pour 2021.

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