Une enquête impartiale et internationale permettrait de faire la lumière sur l’assassinat du journaliste et opposant saoudien.
Se dirige-t-on vers une enquête internationale dans l’affaire Khashoggi ? Lors d’une visite en Tunisie, il y a quelques jours, Mevlut Cavusoglu, le ministre turque des Affaires étrangères, a affirmé qu’Ankara poursuivait « activement » son enquête et « collaborait » avec d’autres membres des Nations unies (ONU). Sans plus de détails, il a également exhorté les autorités saoudiennes à partager les renseignements recueillis durant leur propre enquête, non seulement avec la Turquie, mais également avec « le monde entier ». Ceux, notamment, relatifs à la dépouille de Jamal Khashoggi, le journaliste et dissident saoudien assassiné le 2 octobre dernier au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, dont on n’a toujours aucune trace – excepté quelques détails macabres.
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Courant novembre, alors que les autorités turques avaient exigé des Saoudiens qu’ils se plient à une enquête internationale, « indispensable » estimait alors M. Cavusoglu, ceux-là avaient poliment décliné l’offre. Le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir, d’estimer que « l’affaire est maintenant judiciaire et elle est traitée par le système judiciaire en Arabie saoudite ». Quant aux soupçons concernant l’implication du prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), dans l’assassinat, il les avait rapidement écarté. Trop rapidement ? Dans le même temps, la CIA concluait à la responsabilité directe de l’homme fort de Riyad, aux manettes officieusement dans tous les dossiers brûlants – de la guerre au Yémen à la vaste réforme « Vision 2030 ». Et, quelques semaines plus tard, le Sénat américain adoptait une résolution allant dans le même sens.
« Pressions publiques »
« L’affaire [Khashoggi, ndlr] a modifié la compréhension des actions américaines avec l’Arabie saoudite et souligné la menace croissante posée par les régimes qui poursuivent sans loi leurs détracteurs au-delà de leurs frontières, expliquait le Washington Post, très actif sur le dossier Khashoggi – qui disposait d’une tribune dans le quotidien -, il y a quelques jours. Par-dessus tout, le vote [du Sénat, ndlr] était un rejet du nationalisme brut adopté par M. Trump, selon lequel les Etats-Unis toléreraient des crimes tels que l’assassinat de Khashoggi, tant que les régimes responsables achèteraient des armes américaines ou accorderaient d’autres faveurs commerciales. »

Pour l’instant, l’Arabie saoudite reste, dans la bouche du président américain, le « bon allié » du Golfe. Mais il n’est pas interdit de penser que Donald Trump vire sa cuti si d’aventure le jeune leader saoudien venait à être officiellement et directement impliqué dans le meurtre de Jamal Khashoggi. Ce qui ne pourra arriver qu’à l’issue d’une enquête internationale. Certains signes, ces derniers jours, ont d’ailleurs montré que les relations entre Washington et Riyad n’étaient plus tellement au beau fixe. « Lorsque le gouvernement saoudien a tenté d’augmenter les prix du pétrole ce mois-ci, en violation des pressions publiques exercées par M. Trump, cela lui a rappelé qu’il poursuivra ses propres intérêts dans la production et la commercialisation du pétrole, pas ceux d’un président américain », estime ainsi le Washington Post.
Ventes d’armes
Le chef de l’Etat américain, selon certains observateurs, jouerait d’ailleurs double jeu, puisqu’en retirant les troupes américaines de Syrie, il donne ainsi carte blanche à son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, qui cherche, par le truchement du conflit syrien et de l’affaire Khashoggi, à revenir sur le devant de la scène régionale. Et il y a fort à parier que le président turc demandera jusqu’au bout une enquête internationale, dans le dossier Khashoggi, pour affaiblir MBS, avec qui les relations se sont refroidies depuis la crise du Golfe. Sans compter qu’une investigation conduite sous pavillon de l’ONU apporterait une légitimité au verdict, tandis que Riyad, qui enquête de son côté, voudra vraisemblablement couvrir le prince héritier de toute incrimination jusqu’au bout.
Fin octobre, déjà, Agnès Callamard, la rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, estimait que les Nations unies devaient se pencher sur l’affaire Khashoggi, puisque la Turquie et l’Arabie saoudite sont « deux Etats qui font partie d’un ensemble géostratégique [où] des jeux diplomatiques […] ont lieu ». Notamment pour gagner en leadership dans la région Moyen-Orient – la volonté d’Ankara de revenir en force sur la scène diplomatique « grâce » à l’affaire Khashoggi et à la Syrie illustre parfaitement ce propos. Sans compter q’une enquête internationale permettrait de savoir pour de bon avec qui l’on traite, lorsque l’on s’adresse à l’Arabie saoudite. Un prince héritier ? Un meurtrier ? Un « simple » acheteur d’armes ? La remise en question du commerce de matériel militaire avec Riyad dépendant également, chez certains dirigeants internationaux – parmi lesquels Emmanuel Macron -, du sort réservé à MBS dans l’affaire Khashoggi. Notamment.
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