Selon les Nations unies, le pays avait déjà le taux le plus élevé de mutilations génitales féminines au monde avant la pandémie.
Dans de nombreux endroits, le Covid-19 a mis à rude épreuve les efforts déployés par les agents de santé et les militants pour mettre fin à ce qu’ils appellent, avec les Nations unies et tant d’autres, les mutilations génitales féminines. L’agence américaine Associated Press (AP) rapporte le témoignage, douloureux et poignant, de Safia Ibrahim, dont le business un peu particulier est à la peine depuis l’apparition du coronavirus au Somaliland.
Avec les mesures sanitaires, cette veuve de 50 ans, qui a 10 enfants à charge, a fait du porte-à-porte dans la banlieue de la capitale, un rasoir à la main, profitant du couvre-feu pour chercher du travail, en posant une seule question : Vos filles ont-elles été excisées ? Safia Ibrahim a appris les techniques de l’excision à l’âge de 15 ans, pratiquée des centaines de fois et maintenant transmise à ses filles. Elle félicite les jeunes filles qui ont terminé l’opération : « Prie pour moi, dit-elle, j’ai fait de toi une femme maintenant. »
« Coupeurs »
Safia Ibrahim pense que son travail permet de garder les filles pures pour le mariage. « C’est notre culture somalienne. Nos arrière-grands-mères, nos grands-pères – tous avaient l’habitude de pratiquer », explique-t-elle, même si elle sait, aujourd’hui, qu’il n’y a aucune raison médicale ou même religieuse pour l’ablation des organes génitaux externes, qui peut provoquer des saignements excessifs, des problèmes pour uriner et pour accoucher, des infections et même la mort. Mais cette pratique reste légale au Somaliland, et Safia Ibrahim continuera jusqu’à ce que les autorités lui disent d’arrêter.
« Son histoire résonne dans les communautés musulmanes et autres dans une large bande de l’Afrique au sud du Sahara, ainsi que dans certains pays d’Asie », estime AP.
Selon des responsables gouvernementaux, des agents de santé et des militants, les cas de mutilations génitales féminines ont augmenté de manière alarmante pendant la pandémie de coronavirus au Somaliland, tout comme dans d’autres régions d’Afrique, car le couvre-feu a empêché les filles d’aller à l’école, les rendant ainsi vulnérables aux « coupeurs », comme Safia Ibrahim, et les pressions économiques ont conduit les parents appauvris à donner leurs filles en mariage, pour lesquelles les mutilations génitales féminines restent souvent une attente culturelle, voire une exigence.
Au cours des premiers mois de la pandémie, le Fonds des Nations unies pour la population a prévenu que les perturbations des programmes de prévention pourraient entraîner, au cours de la prochaine décennie, 2 millions de cas qui auraient pu être évités, et que les progrès vers l’objectif mondial d’élimination des mutilations génitales féminines d’ici 2030 seraient gravement affectés. Il n’existe pas de données concrètes sur l’augmentation du nombre de cas, mais les responsables s’appuient sur le bouche-à-oreille, des enquêtes locales et les observations de groupes médicaux et de défense des droits.
« Pression sociale »
Au Somaliland, une région aride qui s’est séparée de la Somalie il y a trois décennies et qui cherche à être reconnue comme pays indépendant, les évaluations communautaires effectuées par les travailleurs du gouvernement et les groupes d’aide ont révélé que les mutilations génitales féminines avaient augmenté pendant les six mois de couvre-feu. Les groupes de défense des droits disent avoir également constaté une augmentation au Kenya, en Tanzanie, au Soudan et en Somalie.
Sadia Allin, directrice pour la Somalie de l’organisation non gouvernementale Plan International, a déclaré avoir été alarmée lorsqu’une praticienne « coupeuse » est venue demander des nouvelles de ses filles à Hargeisa, la capitale du Somaliland. « Je lui ai demandé ce qu’elle voulait faire avec les filles. Elle a répondu : « Je veux les exciser », et ce fut le choc de ma vie, a déclaré Mme Allin. Je ne m’attendais pas à ce que quelque chose comme ça puisse se produire à notre époque, en dépit de la sensibilisation et du travail que nous avons fait. »
Selon une enquête de Plan International, 61 % des habitants d’Hargeisa et de la deuxième ville du Somaliland, Burao, pensent que les mutilations génitales féminines étaient en augmentation sous le couvre-feu. Les mères cèdent et permettent à leurs filles d’être excisées, a déclaré Mme Allin, « parce que la pression sociale est plus forte que la douleur. »
Selon l’agence des Nations unies pour l’enfance, le Somaliland, dont la population dépasse largement les trois millions d’habitants, avait déjà le taux le plus élevé de mutilations génitales féminines au monde avant la pandémie, 98 % des filles y étant soumises entre 5 et 11 ans. La majorité d’entre elles subissent la forme la plus sévère, c’est-à-dire qu’elles sont cousues jusqu’au mariage, par opposition aux formes moins sévères où le clitoris est coupé.
Crédits photo : Safia Ibrahim montre à la caméra les outils et les techniques qu’elle utilise pour pratiquer les mutilations génitales féminines (MGF), dans la cour de sa maison à Hargeisa, au Somaliland, une région semi-autonome séparée de la Somalie, le 7 février 2022 (AP Photo/Brian Inganga).