Si le Pakistan bascule dans le chaos, c’est toute la région qui tombera aux mains des islamistes

« Les conséquences du retrait occidental de toute la région et la chute du Pakistan risquent d’être abyssales », prévient le politologue.

Alors que tous les projecteurs sont braqués sur l’Ukraine et la Russie, un récent article du Figaro annonçait que dans quelques semaines à peine, le Pakistan serait en défaut de paiement [1]. Moins d’un mois avant qu’Islamabad soit incapable de payer ses importations comme les charges régaliennes. C’est une information majeure à ne pas négliger, dans un pays gangréné depuis des décennies par la corruption, la violence, et l’islamisme. Base arrière des Talibans pendant longtemps, le pays qui dispose de l’arme nucléaire dans un périlleux équilibre avec son ennemi indien, est l’une des plus grandes poudrières de la région voire du monde.

Si le pays bascule dans le chaos, nous avons fort à craindre. Et la contagion aux autres pays voisins minés par la pauvreté, l’analphabétisme, la radicalisation et l’intégrisme religieux, risqueraient bien de nous faire relativiser la guerre que nous vivons à nos frontières. Car un renversement du pouvoir militaire au Pakistan aurait des conséquences majeures sur l’Afghanistan voisin des Talibans, sur la remise en cause du désengagement américain de la région Afpak (Afghanistan-Pakistan), sur notre capacité à s’engager pour rétablir la sécurité régionale, et notre impuissance surtout à mobiliser les Nations unies et le droit international en panne depuis des années à prévenir les conflits comme ce fut le cas entre Moscou et Kiev depuis 2014.

Forteresse montagneuse

Pourquoi le Pakistan, comme l’Afghanistan, le Bangladesh et l’Inde sont des bombes à retardement pour la sécurité mondiale ? Il faut déjà pour comprendre remonter à la reprise en main de Kaboul par les Talibans et leur combat avec notamment Daech. Le retrait américain d’Afghanistan et du Moyen-Orient avait été une opportunité unique pour l’organisation État islamique de rafler la mise en prenant la place des Talibans. Washington à peine parti, ils revenaient enforce. La balkanisation du conflit est déjà en cours et risque rapidement de se propager.

Les conséquences pour la région sont déjà terribles : la talibanisation d’une partie du Pakistan et l’hystérisation haineuse de sa population très pauvre et illettrée de plus de 200 millions d’habitants vont faire des ravages face à la crise économique que traverse le pays. Quel espoir également avec la proximité d’un Bangladesh tout aussi misérable, illettré et fanatisé, où nous risquons de nous retrouver ? Que feront nous confrontés à un bloc idéologique salafiste ivre de haine antichrétienne, anti-occidentale, antichiite et anti tout ce qui ne partage pas totalement cet extrémisme de presque 400 millions d’habitants ?

Les conséquences du retrait occidental de toute la région et la chute du Pakistan risquent d’être abyssales. Rappelons que la Syrie ne comptait que 20 millions d’habitants en 2010 et on sait ce que Daesh en a fait. Il faut d’ores et déjà se projeter, anticiper la menace, et imaginer ce que donnera pour les années à venir une forteresse montagneuse pakistano-afghane salafiste et talibanisée sous pression de la concurrence de Daesh avec des zones imprenables, un bouclier humain démographiquement vertigineux, une armée d’un demi-milliard de sympathisants et un des pires indices de développement humain de la planète !

Vitesse grand V

Le vrai enjeu pour Daech, qui s’est affaibli avec la chute de Rakka et sa concurrence face à d’autres courants régionaux sera désormais de revenir sur le devant de la scène avec succès. Avec encore 40 « franchises » dans le monde, Daesh est bien plus attractif qu’Al-Qaida pour poursuivre le grand projet mondial islamiste dans la région AfPak. Il y aura l’objectif enivrant et galvanisant de recréer le califat syrien puissance dix, et l’allégeance des émirats africains, maghrébins et caucasiens, qui existent toujours mais manquent encore de leadership à l’heure actuelle pour poursuivre leur mission y contribuera.

C’est pour cela que le monde doit se préparer au plus vite, et anticiper l’évolution vertigineuse du triangle Pakistan-Afghanistan-Bangladesh qui risque de devenir un enjeu sécuritaire, religieux et géostratégique majeur de la décennie 2020-2030. Et, au passage, en profiter pour désintégrer dans cette région les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, qui sont encore pour le moment la priorité de l’agenda multilatéral. Malheureusement, depuis des années, dans la région, des milliers de milliards de dollars américains et d’aide internationale se sont évaporés notamment en Afghanistan et au Pakistan, des dizaines de milliers de morts sont survenues pour in fine assister à une régression majeure de la sécurité et du développement en Asie centrale et dans le monde.

Joe Biden a prévu depuis le début de se concentrer sur l’Asie et la rivalité avec la Chine, mais il serait suicidaire pour les grands équilibres mondiaux et la sécurité planétaire d’abandonner cette région hautement inflammable. Tout pourrait hélas survenir du glissement rapide de l’Afghanistan et du Pakistan dans le chaos, si on ne vient pas en aide aux Etats sans cautionner pour autant les dictatures. Ce qui s’avère très périlleux surtout qu’avec la guerre en Ukraine, nos moyens se sont considérablement réduits. En attendant, l’islamisme se propage vitesse grand V partout en Asie centrale, à la faveur de tous les mécanismes évoqués plus haut.

 

[1] Le Figaro, 4 février 2023.

 

Crédits photo : La mosquée Faisal à Islamabad, la capitale du Pakistan (Wikimedia Commons).

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