Forum de Doha : un accord sur le nucléaire iranien, mais à quel prix ?

Le politologue Sébastien Boussois revient sur la question du nucléaire iranien, qui a occupé une partie du Forum de Doha ce week-end.

Y aura-t-il prochainement un accord sur le nucléaire iranien acceptable pour les deux parties ? C’est la question que se posait le Forum de Doha, en ouverture de sa seconde journée, dimanche. Depuis le retrait américain du JCPOA, signé par l’ancien locataire de la Maison-Blanche, Barack Obama, la relation entre Washington et Téhéran n’a eu de cesse de se dégrader. Considérant que l’accord n’était pas assez contraignant, et sous pression des Saoudiens et des Israéliens, Donald Trump avait fait voler en éclats une négociation de plusieurs années, qui permettait pourtant d’encadrer la production du nucléaire civil iranien, et plonge désormais la région dans l’incertitude totale.

Lors de l’ouverture de la plénière consacrée à l’avenir et l’espoir d’un nouvel accord entre les deux pays, l’ancien ministre des Affaires étrangères iranien, Sayyid Kamal Kharazzi, est revenu sur les relations entre l’Occident et l’Orient depuis plusieurs décennies. Joe Biden avait promis de relancer les discussions pour trouver un nouvel accord entre les deux pays, qui puisse permettre de lever l’arsenal de sanctions politiques et économiques tombées après la décision de Donald Trump en 2016. Sur un accord potentiel dont le secret reste encore entier, quelques éléments bloquent encore les Iraniens, notamment le manque d’engagement ferme des Etats-Unis.

Terrorisme

Mais pas que : Téhéran, comme le rappelle l’ancien ministre, a demandé à ce que le Conseil des Gardiens de la Révolution soit sorti de la liste noire des Etats-Unis sur le terrorisme. Rien n’est moins sûr et du côté de la capitale iranienne, une telle revendication en cas d’échec pourrait-elle faire retomber la responsabilité sur les dirigeants iraniens ? Vraie question car s’il serait facile d’accuser Washington, le Conseil serait-il prêt à faire amende honorable lui aussi ? L’ancien ministre est assez clair : « Comment peut-on considérer comme terroriste une armée nationale, qui depuis Daech a assuré la stabilité de l’Irak, de la Syrie, et lutté contre les groupes djihadistes ? La notion de terrorisme est un concept à géométrie tout à fait variable ».

Une des inquiétudes supplémentaires de Kharazzi concerne, si un accord est finalement signé, le temps qu’il faudra pour lever les sanctions et permettre à l’Iran de sortir au plus vite de l’ornière. Il faudra selon lui faire la vérification effective de cette levée en échange du respect des nouvelles conditions par son pays. Est-ce que si l’accord n’aboutit pas, les Iraniens pourraient accuser leur gouvernement et provoquer des contestations ? L’ancien ministre répond de manière un peu optimiste et diplomatique que « notre population sait ce qu’elle doit aux Gardiens de la Révolution et qu’ils sont garants avant tout de la sécurité du pays. Nombre de pays arabes et non arabes ont soutenu le terrorisme et des groupes terroristes contre des dirigeants en place. »

Se félicitant qu’un certain nombre de pays renoue avec le régime syrien, il se réjouit que le fameux « terrorisme » à géométrie variable ait été défait. Si le pays est toujours pour un accord coûte que coûte, nul ne sait ce qu’il pourrait se passer si l’accord échouait. Pas même l’ancien ministre à vrai dire qui préfère encore croire qu’une issue favorable soit possible et que les Américains reviennent sur ce qu’ils définissent comme terroriste !

Ukraine

Robert Malley, est l’envoyé spécial de Joe Biden pour l’Iran. Ancien conseiller de Bill Clinton puis de Barack Obama pour le Moyen-Orient, il intervenait dans la foulée au Forum de Doha. Confiant, il sait qu’il y a encore beaucoup à régler. Donc cette question du Conseil des Gardiens de la Révolution et la question de la levée rapide des sanctions si l’accord aboutit. L’autre hic concerne bien sûr la garantie qu’aucune future administration américaine élue ne défera cette fois l’accord. Robert Malley est incapable de s’y engager (c’est le jeu de la démocratie), mais pousse chaque jour à ce que les négociations fassent rapidement aboutir l’accord pour espérer en profiter sur les trois dernières années de la présidence Biden !

Certain que l’économie iranienne desserrera l’étau social que vit la population iranienne, l’envoyé spécial du président américain a également affirmé que contrairement à 2015, il englobait l’ensemble des pays du Conseil de Coopération du Golfe pour les rassurer sur leur propre sécurité face à l’Iran : après les dernières attaques contre les installations saoudiennes venues des Houthis soutenus par les Iraniens, Riyad a besoin de gages dans le cadre d’un tel accord. Avant d’en arriver là, il faudra avoir dans la dernière ligne droite l’aval du Congrès américain : les Républicains étaient clairement, dans la droite ligne de Donald Trump, farouchement opposés à un nouvel accord. Désormais, des démocrates ont commencé à s’impatienter.

A ce stade, Malley a affirmé ne pas avoir encore décidé de retirer le Conseil des Gardiens de la Révolution de la liste terroriste. Depuis ces blocages, l’actualité s’est invité dans la négociation. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine il y a un mois, les revendications russes dans le cadre du futur accord ont conduit il y a deux semaines à la paralysie des négociations en cours. Moscou, qui joue un rôle crucial dans les discussions, cherchait à obtenir des garanties de sécurité supplémentaire dans sa relation à l’Iran. Certes, l’ancien ministre condamnait l’invasion de l’Ukraine par Poutine, tout en rappelant qu’au travers de l’histoire, les Etats-Unis n’avaient pas été en reste en la matière. Mais que pour lui les relations économiques entre Téhéran et Moscou ne devaient pas être impactées par un conflit qui est totalement étranger à l’Iran.

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