Le Yémen plus que jamais au centre de la géopolitique régionale

Le pays, déchiré par plus de 4 ans de guerre, voit s’affronter indirectement, sur son sol, Arabie saoudite et Iran.

Selon des sources diplomatiques occidentales citées par Reuters, les Emirats arabes unis (EAU) comptent réduire leur présence militaire au Yémen, où ils interviennent au sein de la coalition saoudienne depuis mars 2015. « Les forces des Emirats ont évacué le port d’Aden et le côte ouest du Yémen, où elles contribuaient à la formation de soldats yéménites chargés de combattre les miliciens Houthis », d’après l’agence de presse.

« Mouvements de troupes »

Depuis plus de 4 ans, Riyad et Abou Dhabi mènent avec 7 autres pays arabes une offensive contre les combattants chiites, soutenus par l’Iran, afin d’épauler les forces loyalistes yéménites du président Abd Rabbo Mansour Hadi, en exil en Arabie saoudite. La coalition est régulièrement pointée du doigt pour ses frappes aériennes, qui ont grandement contribué à causer la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes, selon les chiffres de l’ACLED.

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Le retrait partiel des troupes émiraties intervient dans un contexte de vives tensions, dans la région du Golfe, attisées par les risques de confrontation directe entre Téhéran et Washington. Pour rappel, la semaine dernière, la République islamique a détruit un drone américain (vraisemblablement parti depuis une base… émiratie) qui se trouvait, selon elle, dans son espace aérien, près du détroit d’Ormuz. Ce que réfutent les Etats-Unis, qui ont lancé par la suite plusieurs cyberattaques contre le pays.

La situation a donc incité Abou Dhabi à passer en revue ses effectifs déployés au Yémen. « Il y a eu des mouvements de troupes […] mais ce n’est pas un redéploiement », a assuré à Reuters une source émiratie. Celle-ci de préciser également que les Emirats restaient pleinement engagés au sein de la coalition saoudienne, qui voit les Houthis multiplier les actes de guerre ces derniers temps.

« Copiée sur un engin iranien »

Dimanche 23 juin, les rebelles yéménites ont visé l’aéroport saoudien d’Abha, situé à 200 kilomètres au nord du Yémen, faisant 1 mort (un ressortissant syrien) et 7 blessés, a indiqué le porte-parole de la coalition saoudienne. Le 12 juin, les Houthis avaient déjà envoyé un missile sur l’installation aéroportuaire, blessant 26 civils selon les autorités saoudiennes. Ces dernières ont fermement accusé l’Iran d’avoir fourni le matériel aux combattants chiites, vieille (mais non moins vraie) antienne de Riyad qui place clairement le Yémen au centre de l’affrontement Téhéran-Riyad.

« [L’attaque contre l’aéroport d’Abha] prouve que cette milice terroriste a acquis de nouvelles armes et que le régime iranien continue de la soutenir », a dénoncé le colonel Turki al-Malki, porte-parole de la coalition saoudiennes au Yémen.

Dans une note (1) parue en décembre 2018, Jean Masson, assistant de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), estimait d’ailleurs, au sujet du perfectionnement des frappes houthistes depuis le début du conflit : « Il ne fait guère de doute que les Houthis n’ont pu produire de tels vecteurs avec leurs propres ressources. Au contraire, le contexte géopolitique, les caractères de la campagne de frappe et les caractéristiques techniques des missiles employés contre l’Arabie saoudite corroborent l’hypothèse d’une coopération entre les Houthis et l’Iran dans le domaine des missiles. »

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Une affirmation qui doit cependant être légèrement nuancée, selon Louis Imbert et Benjamin Barthe, journalistes au quotidien français Le Monde spécialistes de la région. « Ces derniers mois, les houthistes ont fréquemment utilisé une arme inconnue au Yémen avant 2015 : des drones chargés d’explosifs, moins chers que des missiles et plus discrets au décollage. […] Il est plausible, note un observateur proche du dossier, que cette arme ait été copiée sur un engin iranien, le Shahed 129. Mais les rebelles paraissent désormais en mesure de produire seuls ces appareils peu complexes », font-ils savoir.

Apaisement

Une « émancipation balistique » qui pourrait, éventuellement, causer du tort à Téhéran ? Comme le reconnait Jean Masson, « l’Iran voit des gains politiques à alimenter la guerre asymétrique menée par les Houthis contre l’Arabie saoudite et ses alliés. [La République islamique] a intérêt à consolider ses liens avec le groupe armé, essentiels pour contrebalancer l’extension de la puissance saoudienne dans la péninsule Arabique », estime le chercheur. D’autant plus que « l’impossibilité pour l’Arabie saoudite de venir à bout de l’insurrection, en dépit des moyens militaires dont elle dispose », représente un réel camouflet pour Riyad. Et, donc, une bénédiction pour Téhéran.

Raison pour laquelle la réduction des effectifs émiratis, décidée ces derniers jours, peut sembler à première vue contre-productive pour la coalition emmenée par les Saoudiens. Même s’il n’est pas interdit de penser qu’un membre comme le Soudan, où Riyad et Abou Dhabi cherchent à conserver leur influence malgré les mouvements de révolte, continuera d’envoyer ses soldats au Yémen – il y en aurait plus de 10 000 actuellement.

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En tout cas, malgré cette annonce et la mise à disposition de troupes en cas d’affrontement avec l’Iran, les autorités émiraties ont souhaité jouer l’apaisement. Alors que les Etats-Unis ont très clairement pointé du doigt Téhéran, après l’attaque de deux pétroliers dans le golfe d’Oman, le 13 juin dernier, le chef de la diplomatie des EAU, cheikh Abdallah ben Zayed, a estimé mercredi qu’il était prématuré d’accuser qui que ce soit.

(1) Les missiles des Houthis : prolifération balistique et groupes armés non-étatiques, Jean Masson, « Recherches & Documents » n° 11/18, décembre 2018.

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