L’Égypte à l’initiative de la souveraineté libyenne

Dans un communiqué, le Conseil de la Ligue arabe a appelé au retrait de toutes les forces étrangères du territoire et des eaux libyens.

En diplomatie, il est un concept élémentaire qui semble échapper aux commentateurs pressés et dogmatiques du média, soumis au logiciel scolaire de la vision unique et totalitaire — tantôt grossièrement bien-pensant tantôt strictement partisan —, ou aux chercheurs inspirés qui s’empresseront de trouver en chaque déclaration ou décision d’État la manifestation intéressée de quelque complot idéologique majeur au scénario plus ou moins alambiqué : ce concept essentiel, qui entend dépasser, d’un optimise courageux, toute espèce de nécessité conflictuelle ou spectaculaire, est celui de la « bonne volonté ».

Dans la crise libyenne, cette « bonne volonté » s’est illustrée dernièrement avec l’engagement ferme et paternel de l’Égypte pour la garantie de la souveraineté du voisin arabe, après une décennie d’ingérences étrangères dévastatrices et de luttes tribales meurtrières ; le pays se trouvant désormais en proie aux visées expansionnistes turques, assurées par différentes milices armées régionales, dont les forces du GNA (Government of National Accord) reconnues par l’ONU, quant au contrôle des ressources gazières et pétrolières notamment.

Cette « bonne volonté » s’est d’abord manifestée, à l’initiative du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi parrainant le commandant en chef de l’Armée nationale libyenne Khalifa Haftar, par la Déclaration du Caire le 6 juin dernier, celui-ci annonçant plusieurs mesures politiques fortes en vue de parvenir à une issue raisonnable et avant tout diplomatique à la crise : mise en place d’un cessez-le-feu, retrait de toutes les parties étrangères, efforts d’institutionnalisation et proposition d’un conseil présidentiel expérimental représentant équitablement les différentes provinces libyennes, pour une juste répartition des ressources, le développement économique et la paix sociale en faveur du pays frère.

Cette noble et ambitieuse responsabilité de l’Égypte, soutenue entre autres par la Russie, la France et les Émirats, dans la souveraineté et la stabilité libyennes, traduit la détermination politique opportune de rompre enfin officiellement avec le manège chaotique — géostratégique, criminel et financier — des interventions étrangères au Moyen-Orient. Cette position pacifiste se heurte pourtant à la « mauvaise foi » ou la « susceptibilité » de quelques va-t-en-guerre mégalomaniaques engagés dans la partie ; le GNA de Fayez el-Sarraj, encouragé par la communauté internationale, ayant finalement accepté de participer à une réunion d’urgence, le 23 juin dernier, de la Ligue des États arabes autour du plan de paix égyptien, rejeté par le président turc Recep Tayyip Erdoğan.

Dans un communiqué récent, le Conseil de la Ligue arabe appelle donc au retrait de toutes les forces étrangères du territoire et des eaux libyens, réaffirmant là la position tenue à la signature des Accords de Skhirat en décembre 2015 au Maroc, qui prévoient la formation d’un gouvernement régulièrement élu au service de son peuple.

Il s’agit donc formellement, pour le monde arabe solidaire, de garantir l’intégrité territoriale et l’unité nationale de la Libye, par le retrait complet des intervenants extérieurs et puissances coloniales à la manœuvre, condamner rigoureusement le déploiement des groupes terroristes en Méditerranée, en démantelant toutes les milices connues et désarmant les mercenaires présents sur son sol, conformément aux conclusions de la Conférence de Berlin du 19 janvier dernier.

De son côté, le maréchal Sissi rappelle, pour le maintien de la sécurité régionale, l’importance stratégique d’empêcher tout transfert de mercenaires et terroristes, depuis la Syrie notamment, qui alimenteraient les milices anti-Haftar, afin de prévenir une éventuelle escalade militaire et l’attisement d’un chaos social lié à l’immigration clandestine et à « la criminalité organisée sous toutes ses formes : trafics d’armes, de drogue et traite d’êtres humains », insistant sur la nécessité d’un plan de paix durable débarrassé de toutes « effusion de sang, dilapidation des ressources et ingérence illégitime ».

L’on doit ajouter ici à ces divers trafics de guerre celui, très lucratif, des antiquités et objets archéologiques, qu’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU associait en 2015 au financement du terrorisme ; une vaste enquête de la police espagnole ayant notamment permis d’appréhender voilà quelques mois un antiquaire barcelonais soupçonné d’avoir commercé avec un groupe de pilleurs affiliés à l’État Islamique qui contrôlait alors la Cyrénaïque, région particulièrement riche en vestiges antiques.

En début de semaine, ce sont plusieurs personnalités du marché de l’art français, dont le président de la maison de vente Pierre Bergé & Associés, qui ont été interpellées par les agents de l’OCBC (l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels) pour recel de vol en bande organisée, association de malfaiteurs, et le blanchiment de nombreuses œuvres spoliées en Égypte, en Syrie, au Yémen et en Libye depuis les mouvements révolutionnaires du Printemps arabe ; ce trafic d’une envergure sans précédent ayant généré plusieurs dizaines de millions d’euros, qui auraient permis de financer en partie les activités criminelles de Daech dans la région.

Enfin, dans ce conflit sanglant et inextricable aux acteurs multiples et mouvants, aux enjeux tentaculaires plus ou moins occultes, l’on ne pourra que se féliciter, malgré le ressentiment ou la combine lointaine des uns et des autres, de cette simple et remarquable proposition de « bonne volonté » en faveur d’une certaine perspective d’intelligence collective. Le drame humain, cependant, reste le même : alors que l’appât du gain amène quelques hommes pervertis à s’entretuer plus ou moins aveuglément pour l’illusion de la domination, les enfants du peuple, n’aspirant eux qu’à un peu de liberté et de tranquillité, payent invariablement de leur vie la folie partisane des premiers.

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Crédits photo : Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (centre), le maréchal libyen Khalifa Haftar (droite) et le président du parlement libyen Aguila Saleh (gauche) juste avant une conférence de presse au Caire, en Égypte, le 6 juin 2020 (présidence égyptienne/AFP).

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