Le Qatar a fait passer la Coupe du monde d’un projet à une réalité tangible, estime Sébastien Boussois dans sa tribune.
Doha a même, dit-on avec fierté au sein des instances, de l’avance sur le calendrier originel des travaux. En effet, la Coupe du monde de football aura lieu du 21 novembre au 18 décembre 2022. Et déjà, la pression retombe un peu. En attendant, Doha se rôdera avec la Coupe arabe de la FIFA, du 30 novembre au 18 décembre 2021, et va tester ses installations grandeur nature. C’est l’occasion de faire un point sur les enjeux à venir pour le pays, pour le football, et pour le monde arabe, qui accueille pour la première fois de l’histoire un tel événement. Qui doit être un succès. Voici pourquoi.
Le Qatar arrive au bout d’un « combat » de près de onze années, qui n’ont pas été faciles du tout. Certes, le Qatar a l’habitude désormais d’organiser d’importants événements culturels et sportifs, mais la Coupe du monde, c’est tout de même autre chose – et largement un cran au-dessus de tout ce qui a déjà été réalisé. Il y a eu beaucoup de promesses, sur le papier, qui existent désormais sur le terrain, et au-delà des mots. L’heure est à la réalisation, et tout prend forme. Il semble bien que la confiance soit là avec nombre de partenaires internationaux et locaux, afin d’aider le pays à aller dans le sens de l’histoire et du progrès.
Tout d’abord, parce qu’une Coupe du monde place un pays sur l’échiquier mondial. Et ce durablement. Le Qatar a toujours cru qu’il pourrait devenir un acteur de la communauté internationale de plus en plus important et sur différents plans. C’est essentiel, à travers le prisme du football et du sport, pour exister. Cela vaut en réalité pour le sport comme pour la géopolitique : le Qatar a compris que la résolution des conflits se ferait avant tout par le dialogue en mettant les gens ensemble autour d’une table. Voire d’un terrain de football. Doha, récemment, a par exemple endossé ce rôle juste avant la crise afghane, dans le dialogue établi entre toute les parties belligérantes. Et le pays réunira des milliards d’individus pendant la Coupe du monde, mettant entre parenthèses pendant quelques jours tensions et conflits mondiaux. Le sport est un formidable outil pour cela.
C’est aussi cela, le « soft power » pour un pays. Pouvoir rassembler les gens en promouvant des valeurs positives, de solidarité et d’entraide. La lutte contre l’extrémisme se fait aussi par l’inusable défense des valeurs sociales et individuelles qui rassemblent les gens et font société. Le Qatar a toujours cru avant tout à la diplomatie culturelle et sportive. Et c’est dans ce sens que les instances organisatrices ont développé leur stratégie de développement, et leurs partenariats culturels, sportifs, académiques et sociaux.
Abandon de la « kafala »
Au Moyen-Orient, la recherche du dialogue et de l’apaisement n’est pas du luxe. Cette coupe du monde peut « apaiser » un temps une région en proie aux tensions, aux guerres et aux crises. Elle peut-être une parenthèse au milieu du chaos mais n’est-ce pas un peu insuffisant pour insuffler de l’espoir ? Les Qataris sont fans de football, comme toute la région de la péninsule arabique. Ils ont accueilli des équipes depuis le début du XXe siècle mais aussi des tournois. A la fin de l’année, ce sera le tour de l’Arab Cup. Et le but du Qatar est clair : faire la même chose qu’aux Etats-Unis et en Europe ou en Amérique latine : que cette flamme de la passion pour le football se transforme en moteur économique et social pour toute une société. C’est un excellent moyen de pousser l’économie, développer le secteur de la construction, la société des services, les technologies, et les médias.
Cela a véritablement un « multiplayer effect ». Ici, le Qatar investit beaucoup d’argent dans le sport et ce n’est un secret pour personne. Le plus difficile pour le pays à l’heure actuelle est de transformer rapidement l’essai pour que les effets soient durable dans l’économie au-delà du simple évènement. Tous les pays de la région devraient promouvoir un tel moment historique pour le monde arabe. Il est vrai que le monde occidental a beaucoup bénéficié en son temps de cela, de la démocratisation, du libre-échange, du marché commun et de la coopération régionale. Malheureusement, les pays du Golfe en sont hélas encore loin car ils espéraient un marché arabe unifié et des conséquences économiques et financières. Un tel évènement du coup, c’est aussi une autre manière d’être fiers d’être arabes grâce au football. Tant de raisons de l’être manquent parfois.
Face aux multiples attaques dont il a été l’objet, l’émirat a pris acte et fait évoluer sa législation. Ainsi, il a mis en place l’embryon d’un véritable droit du travail, comme Oman et le Koweït l’avaient fait. Cela s’est fait avec la communauté internationale et en particulier le bureau de l’Organisation Internationale du Travail qui a créé une antenne à Doha depuis 2018. Abandon de la « kafala », instauration d’un salaire minimum, mise en place d’un âge minimum, protection sociale du travailleur, création d’un statut de représentant du personnel, développement d’équipes d’inspecteurs du travail dans le pays.
Enfin, Doha doit profiter des retombées de la Coupe du monde en termes d’attractivité. Elle doit pouvoir devenir une destination touristique incontournable dans la région. Car après avoir accueilli la Coupe du Monde, la Russie est redevenue une destination touristique, comme cela avait été le cas de l’Allemagne avec Berlin, de l’Afrique du Sud avec le Cap. Le Qatar a tout à y gagner pour se placer désormais sur l’échiquier touristique moyen-oriental.
