Face aux événements syriens, les membres de l’OTAN apparaissent plus divisés que jamais.
Samedi dernier, les Nations unies (ONU) ont ouvert un deuxième camp au Kurdistan irakien, pour accueillir les réfugiés kurdes fuyant le nord-est syrien, en proie aux assauts de la Turquie depuis le 9 octobre dernier. Le premier camp, abritant quelque 11 000 personnes déjà, était arrivé à saturation. « Environ 11 000 réfugiés ont été installés dans le camp de Bardarach, atteignant sa capacité maximale d’accueil, nous avons donc conduit 310 réfugiés arrivés de Syrie aujourd’hui [samedi] au camp de Gawilan », a effectivement annoncé Rachid Hussein Rachid, porte-parole du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) au Kurdistan irakien.
Depuis que le régime turc a décidé de lancer une opération contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), dans le nord-est de la Syrie, le 9 octobre dernier, le nombre de réfugiés n’a cessé d’augmenter au Kurdistan irakien frontalier. Pendant plusieurs jours, plus de 1 000 âmes en perdition arrivaient même quotidiennement dans la région. Samedi, ils étaient en revanche nettement moins nombreux, comme l’indiquait Rachid Hussein Rachid, l’armée de Bachar al-Assad, déployée dans le nord-est de la Syrie en vertu d’un accord avec les Kurdes, empêchant le passage des réfugiés vers l’Irak.
« Zone sous contrôle international »
L’accord en question, signé le 22 octobre dernier à Sotchi (Russie) par les présidents russe, Vladimir Poutine, et turc, Recep Tayyip Erdogan, vise à sécuriser les territoires situés au nord-est de la Syrie, théâtre des assauts turcs. Il résulte plus ou moins directement du « lâchage » en bonne et due forme opéré par les Etats-Unis, qui ont décidé le 13 octobre dernier de retirer la quasi-totalité de leurs forces armées présentes dans la région. Une décision éminemment critiquée en Occident, puisqu’elle offrait une fois de plus aux Kurdes le statut de « laissés-pour-compte » de l’Histoire. Eux qui, depuis près d’un siècle maintenant, cherchent à établir leur autonomie par l’érection d’un Etat (Traité de Sèvres, 1920).
Quête jusqu’à présent impossible, maintes fois déjouée par Ankara, effrayée rien qu’à l’idée d’un territoire kurde à sa frontière – le régime turc considère les combattants kurdes comme « terroristes ». Et quête que les Occidentaux, qui ont pourtant su compter sur les Kurdes lorsqu’ils en avaient besoin dans leur lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), n’ont pas cherché à appuyer outre-mesure. Ankara sachant mettre, à chaque fois, la dose de pression qu’il convient. Résultat, Vladimir Poutine, éternel allié de Bachar al-Assad, s’est mué en acteur incontournable de la région : il a su tempérer les velléités va-t’en-guerre de son homologue turc, tout en réinstallant son allié al-Assad au sommet d’un Etat qu’il avait pourtant largement contribué à dézinguer.
Jeudi dernier, la cheffe adjointe de l’humanitaire au sein de l’ONU, Ursula Mueller, a fait part au Conseil de sécurité de ses vives inquiétudes concernant les « graves conséquences humanitaires » des affrontements turco-kurdes, tout en redoutant que « de nouvelles hostilités » entraînent « de nouveaux déplacements de populations ». Pour tenter de calmer le jeu, l’Allemagne a proposé, de son côté, d’établir une « zone sous contrôle international » dans le nord-est de la Syrie. Proposition aussitôt acceptée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les combattants kurdes, et saluée par le secrétaire général de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord)… dont fait partie la Turquie.
Incapacité généralisée
C’est un euphémisme : l’actualité syrienne et, plus particulièrement, la question kurde, fragilise l’Alliance Atlantique. « Face à un allié passé à l’offensive dans le nord-est de la Syrie contre les Kurdes syriens et un Donald Trump difficilement déchiffrable, jamais depuis la fin de la guerre froide l’OTAN n’était apparue aussi divisée », a ainsi estimé Jacques Hubert-Rodier, éditorialiste des Echos spécialisé dans les questions internationales. « L’intervention turque en Syrie bafoue les principes de l’Alliance Atlantique, fondée pour défendre la démocratie, et met en danger l’équilibre de la région et au-delà, notre sécurité », ont estimé dans une tribune l’écrivain Patrice Franceschi (soutien des Kurdes) et Stéphane Breton, directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, France). Pour eux, pas de doute : « Il faut exclure la Turquie de l’OTAN ».
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Si l’Organisation est assurément ébranlée, pas sûr qu’elle puisse se permettre de lâcher un tel « allié ». D’autant plus que les membres de l’OTAN ont trouvé ces derniers jours au moins deux points de satisfaction. Le premier tendant à constater « une réduction significative de la violence » dans le nord-est de la Syrie – comme ne pas tomber d’accord là-dessus… Le second sur la nécessité d’empêcher l’organisation Etat islamique (EI) de reprendre des territoires dans la région. Si le chef de Daech (acronyme arabe de l’EI), Abou Bakr al-Baghdadi, a vraisemblablement été tué au cours d’un raid aérien américain, dans la nuit de samedi à dimanche derniers, des djihadistes avaient profité de l’assaut turc pour s’enfuir de leurs geôles.
8 ans après la début de la guerre civile syrienne, cette région du Moyen-Orient à la géopolitique claudiquante est donc, malgré la prise de contrôle des Russes, toujours très incertaine. Une chose, en revanche, est sûre : les événements des ces dernières semaines ont confirmé que les Occidentaux étaient incapables de s’entendre sur ces questions. Même l’idée allemande de créer une « zone sous contrôle international » pour porter secours (mérité) aux populations kurdes dérange, jusque dans les rangs européens. Certains membres de l’UE ayant affiché leur « perplexité » devant un tel projet, qui aurait dû, selon eux, faire l’objet d’une concertation préalable. Le drame des Kurdes est également, et plus que jamais, celui de l’incapacité généralisée des Occidentaux.
