En Syrie, Vladimir Poutine mène la danse

Ces derniers mois, le chef du Kremlin a multiplié les rencontres parallèles au processus de paix onusien, pour s’afficher comme le pivot du dialogue national syrien.

Un jeu. La Syrie est devenue un jeu. De pouvoirs, d’influences, de conquêtes militaires et diplomatiques. De dupes également. Tandis que se pressent aujourd’hui à Genève les représentants du gouvernement et ceux de l’opposition syriens, pour entamer la huitième session des pourparlers sous l’égide des Nations unies (ONU), une seule certitude : la Russie maîtrise de bout en bout le dossier. Le reste relève du domaine de la conjecture. Et, donc, de l’ambiguïté – maîtrisée ou non. Si toutes les parties au processus de paix en Syrie semblent s’accorder sur la nécessité d’une résolution politique du conflit, leurs attentes officieuses, en sous-main, font bien moins consensus.

Pour la première fois, après six ans d’une guerre qui a fait – pour l’instant – plus de 340 000 morts, les autorités syriennes et les forces d’opposition semblent avoir trouvé un terrain d’entente. Le départ de Bachar al-Assad n’est plus un préalable à toute négociation, comme l’a rappelé Bassma Kodmani, membre de l’opposition syrienne. La raison de cette « avancée » ? Pour Hasni Abidi, politologue spécialiste du monde arabe, « c’est une nouvelle opposition [qui se présentera à Genève] puisque les caciques qui souhaitaient le départ du chef d’Etat syriens ont été évincés. Aujourd’hui, celui qui dirige l’opposition, Nasser al-Hariri, appelle à une discussion. »

« Des hauts et des bas »

Mais dialogue ne veut pas dire blanc-seing. Vladimir Poutine se méfie des forces opposées à Bachar al-Assad, réunies à Riyad la semaine dernière sous la houlette de l’Arabie saoudite, qui s’était engagée auprès de Moscou à mettre de l’ordre au sein de l’opposition syrienne pour qu’elle apparaisse unifiée à Genève. Le chef du Kremlin, qui joue sur tous les tableaux, a de son côté appelé Bachar al-Assad à faire des concessions. « Le processus politique ne sera pas facile, il demandera des compromis de toutes les parties, y compris du gouvernement syrien » a-t-il déclaré depuis Sotchi, où il avait convoqué l’homme fort de Damas.

Ce dernier est-il dès lors disposé à jouer le pion des Russes ? Rien n’est moins sûr. La Russie a beau lui avoir prêté main forte de manière décisive contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) et les rebelles syriens, Bachar al-Assad s’affiche comme le grand gagnant de la guerre et devrait se maintenir au pouvoir jusqu’en 2021. « Maintenant, nous pouvons dire non à ce qui se prépare, se cela nous déplait » a d’ailleurs déclaré l’un des conseillers du président syrien au Figaro. « Avec les Russes, les affaires stratégiques et militaires sont bien coordonnées. Mais dans le détail, il y a des hauts et des bas. Ils proposent une Constitution, on dit non. »

« Nouvel élan »

La contingence des rapports entre Damas et Moscou n’empêchera en tout cas pas les Russes d’organiser, les 2 et 3 décembre à Sotchi, un « Congrès du dialogue national syrien », en pleins pourparlers à Genève. Qui se verront donc interrompus. Une manière pour Vladimir Poutine de s’affirmer comme le réel pivot des négociations et court-circuiter la médiation de Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU. Ce n’est pas la première fois que le président russe dame le pion aux Nations unies. Ces derniers mois, il a multiplié les rencontres avec l’Iran, soutien de Bachar al-Assad, et la Turquie, soutien des rebelles, à Astana (Kazakhstan), afin de relancer, à sa façon, le processus de paix en Syrie.

Si les trois acteurs répètent que le « processus d’Astana » ne fait pas concurrence à celui de Genève, Vladimir Poutine peut s’enorgueillir d’avoir réussi à faire s’assoir à la même table deux voix discordantes, chose que n’avait pas réalisée, avant mardi, le processus onusien. « Cette situation est assez paradoxale » note Hasni Abidi. « Les négociations de Genève sont concurrencées par un nouveau processus que personne n’avait prévu et qui va aborder le volet politique. En même temps, cette initiative pourrait donner un nouvel élan à la médiation menée à Genève » tempère-t-il.

En attendant, la Russie, aux manettes sur la scène diplomatique, joue également les premiers rôles sur le terrain syrien. Dimanche dernier, dans la province de Deir ez-Zor, à l’est du pays, l’aviation russe a bombardé un village tenu par les djihadistes de l’EI. Bilan : 53 civils, dont 26 enfants, tués. Le prix à payer, sans doute, pour mener la danse en Syrie.

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