L’Arabie saoudite avance ses pions sur l’échiquier tunisien

La visite du prince héritier saoudien, hier à Tunis, a fortement déplu à une bonne partie de la population tunisienne.

Malgré la contestation de la société civile, représentée essentiellement par les journalistes, les étudiants et quelques associations, Mohamed ben Salman, le prince héritier saoudien, s’est rendu à Tunis dans la soirée du mardi 27 novembre. Pour sa visite de quelques heures, le leader de facto de l’Arabie saoudite a été reçu par le président Béji Caïd Essebsi à l’aéroport Tunis-Carthage, où un accueil chaleureux, avec tous les honneurs, lui a été réservé. Avant de filer, en compagnie de son hôte, en direction du palais présidentiel, pour un entretien de quelques heures avec ce dernier.

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Selon la presse tunisienne, le royaume envisageait d’accorder à la Banque centrale de Tunisie un dépôt de deux milliards de dollars (soit environ 5,8 milliards de dinars). Riyad a également décidé de fournir des quantités de pétrole à la Tunisie, à des prix préférentiels de 400 millions de dollars par an. Et des accords sur le développement des investissements saoudiens en Tunisie ont également été signés. Selon la présidence tunisienne, représentée par Saïda Garrache, sa porte-parole, il n’y a en revanche pas eu de demande de la part de Béji Caid Essebsi.

« Violation flagrante »

Pour rappel, la visite du prince héritier saoudien a été largement contestée en Tunisie. Plusieurs partis politiques et organisations nationales ont dénoncé, dans une déclaration conjointe publiée lundi 26 novembre, sa visite. Alors que « l’étau se resserre autour du régime saoudien, à cause de ses forfaits à répétition et de la mobilisation d’un grand nombre d’hommes libres de par le monde pour le décrier ». La déclaration faisant référence, notamment, à l’assassinat de Jamal Khashoggi, le 2 octobre dernier, au consulat saoudien d’Istanbul, en Turquie. Dont tout indique que MBS serait aux commandes.

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Le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et une dizaine d’organisations, dont la Ligue des droits de l’Homme ou l’Association tunisienne des femmes démocrates, avaient appelé à manifester, lundi et mardi, à Tunis. Sur la façade de certains bâtiments, des banderoles montrant MBS armé d’une tronçonneuse ou d’un fouet ont été déroulées, pour lui souhaiter la bienvenue… Et dans une lettre ouverte à la présidence tunisienne, le SNJT a dénoncé cette visite comme étant une « violation flagrante des principes de notre révolution ». Et exprimé sa peur de voir Riyad s’ingérer dans les affaires tunisiennes.

Jeux d’alliance

Après les « printemps arabes », en 2011, le pays fut le théâtre d’une rivalité à distance entre Qataris et Emiratis. Les premiers soutenant le parti islamiste Ennahda, poids lourd du gouvernement tunisien jusqu’en 2014 ; les seconds le parti anti-islamiste Nidaa Tounès, chapeauté par Béji Caïd Essebsi, président de la République depuis 4 ans. Au gré des vicissitudes politiques internes, Ennahda s’est vu écarté du pouvoir, dans un premier temps. Avant d’être rattrapé en plein vol pour intégrer la coalition avec Nidaa Tounès, en 2015, ce qui avait fortement déplu aux Emiratis.

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Dans ce contexte géopolitique trouble, alors que le chef de l’Etat tunisien s’est brouillé avec Ennahda cet été, l’Arabie saoudite, légèrement en retrait, place tout de même ses pions sur l’échiquier tunisien. Ainsi, depuis deux ans, les autorités saoudiennes profitent de leurs visites en Tunisie pour annoncer de juteux contrats – dont la somme dépasse aujourd’hui le milliard de dollars. Ceci alors que, l’an prochain, le double scrutin tunisien (législatif et présidentiel) promet de porter ces jeux d’alliances à leur paroxysme. Ce que beaucoup, en Tunisie, seul pays arabe gagné par la démocratie après les « printemps », refusent.

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