Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence, vendredi après-midi, pour discuter de la situation à Idlib, en Syrie.
Se dirige-t-on vers un affrontement entre les forces russes, qui soutiennent par les airs l’armée syrienne, et les forces turques, qui viennent en aide aux combattants rebelles retranchés à Idlib ? Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) se réunissait en urgence, vendredi après-midi, pour discuter de la situation dramatique dans le nord-ouest de la Syrie, Antonio Guterres, le patron de l’ONU, a déclaré « qu’il est important de reconnaître que le conflit a changé de nature. Et nous avons assisté à une escalade très significative ces derniers jours », tandis que l’armée syrienne perçait à travers les positions rebelles et djihadistes dans la région d’Idlib, le dernier bastion d’opposition du pays, grappillant ville après ville.
Il est encore trop tôt pour le dire, mais un pas vers une aggravation de la situation semble avoir été franchi jeudi, après une attaque aérienne menée par Moscou – une bombe russe à guidage laser de type KAB-1500L portée par les chasseurs Soukhoï SU-35 – qui a fait plus de trente morts côté turc – la perte la plus lourde, en une journée, depuis la première intervention militaire d’Ankara en Syrie, en 2016. Selon la cheffe des affaires politiques et de la consolidation de la paix de l’ONU, Rosemary DiCarlo, des responsables du ministère russe de la Défense ont « confirmé qu’un nombre indéterminé de soldats turcs, qui, selon eux, se trouvaient ‘‘avec des combattants de l’opposition’’, avaient été touchés par des bombardements du gouvernement syrien ». Ankara, en représailles, a indiqué qu’elle avait ciblé des positions du gouvernement syrien, « avec des avions, des drones armés et de l’artillerie », d’après Mme DiCarlo.
« Cela se passe à la vue de tous »
Preuve que la situation demeure tendue, Recep Tayyip Erdogan, entre menaces et appels au secours, a sollicité l’aide de ses partenaires de l’OTAN et les membres de l’Union européenne (UE). Jeudi, il a averti ces derniers qu’il pourrait très bien laisser filer les réfugiés « hébergés » par la Turquie en direction de l’Europe, laissant craindre une nouvelle crise migratoire, après celle de 2015, qui avait vu plus d’un million de Syriens affluer sur le sol européen. Le même jour, quatorze ministres européens des Affaires étrangères appelaient le régime syrien et ses soutiens russes à stopper leur avancée vers Idlib, qui a provoqué depuis le 1er décembre dernier la fuite de plus d’un million de Syriens vers la frontière turco-syrienne.
« Nous exhortons vivement la Russie et la Turquie à s’appuyer sur leurs accords antérieurs pour obtenir un cessez-le-feu pour le nord-ouest de la Syrie », a d’ailleurs déclaré Rosemary DiCarlo, notant l’impact dévastateur de l’escalade sur les civils. D’après le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, 1 750 d’entre eux ont péri depuis avril dernier dans les affrontements entre régime et rebelles – un nombre « probablement plus élevé » selon Mme DiCarlo, 94 % des victimes se trouvant dans des zones tenus par l’opposition. « Des civils sont tués dans des camps de déplacés, des écoles et des hôpitaux. Cela se passe à la vue de tous, nuit et jour », a-t-elle affirmé, révélant également que le groupe terroriste Hayat Tahrir al-Cham, qui contrôle une bonne partie d’Idlib, est lui aussi responsable d’attaques aveugles.
Zone de désescalade
Ankara, qui a appelé la communauté internationale à mettre en place une zone d’exclusion aérienne dans la région d’Idlib, sembler jouer sur deux tableaux à la fois. D’un côté elle presse ses alliés de l’OTAN – et notamment les Etats-Unis – de toute faire pour empêcher une escalade du conflit dans le nord-ouest de la Syrie, de l’autre elle renforce sa présence militaire aux côtés des rebelles et des djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham, qui ont ainsi pu reprendre la ville stratégique de Saraqeb, tombée aux mains du régime de Damas le 5 février dernier. L’armée turque, qui dispose de plus de 7 000 hommes dans la région, avance en revanche que c’est pour maintenir le statu quo et empêcher que Syriens et Russes ne s’emparent d’Idlib qu’elle intervient.
Pour beaucoup, afin d’éviter une aggravation des combats et de la situation humanitaire, alors que les ONG peinent à venir en aide aux Syriens en extrême difficulté, l’accord de Sotchi, conclu en septembre 2018 entre Moscou et Ankara, qui prévoit une zone de désescalade à Idlib, doit à tout prix être appliqué. A ce titre, note Marie Jégo, correspondante du Monde à Istanbul, « jusqu’ici, le Kremlin est resté sourd à la demande turque de négocier un cessez-le-feu. Des pourparlers menés ces derniers jours entre Russes et Turcs à Ankara se sont achevés jeudi sans résultats. » De plus, Vladimir Poutine ne se rendra finalement pas à Istanbul le 5 mars comme prévu, puisqu’il a « d’autres rendez-vous de travail prévus ce jour-là », selon son porte-parole, Dmitri Peskov.
« Mettre fin à cette violence »
Tandis que le spectre d’un conflit ouvert entre Russes et Turcs plane sur Idlib, la situation humanitaire se révèle toujours aussi désastreuse. Avec un « record sans cesse croissant de destructions et d’atrocités » en Syrie, Rosemary DiCarlo a rappelé devant le Conseil de sécurité les innombrables avertissements de l’ONU selon lesquels les attaques contre des civils sont tout simplement inacceptables. « Nous avons réaffirmé aux parties que toutes les opérations militaires doivent respecter les règles du droit international humanitaire. Si de tels actes et tactiques horribles persistent malgré l’indignation mondiale, est-ce en grande partie parce que leurs auteurs ne craignent pas de rendre des comptes et la justice ? », a-t-elle demandé.
Pour Mme DiCarlo, les civils vivant dans la terreur quotidienne combats à travers la Syrie, « ne demandent pas une pause dans les combats. Ils demandent la fin du massacre. Nous devons tous assumer notre responsabilité de faire tout notre possible pour mettre fin à cette violence », a-t-elle dit. Samedi, la Turquie bombardait de nouveau les forces armées du régime de Damas dans le nord-ouest de la Syrie.
Lire aussi : Syrie : à Idlib, « la situation est cauchemardesque »
Crédit photo : Un convoi militaire turc roulant vers Idlib après avoir franchi la frontière syrienne samedi dernier. Ghaith Alsayed/AP
