La réconciliation nationale est-elle enterrée en Tunisie ?

Lundi dernier, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), en Tunisie, a refusé de prolonger le mandat d’une année supplémentaire de l’Instance vérité et dignité (IVD). Véritable émanation de la révolution de 2011 – et donc de la démocratie tunisienne -, celle-ci avait pour tâche de « solder les comptes de la dictature », et de « révéler la vérité » sur de multiples cas de violations des droits humains ou abus financiers commis entre 1955 et 2013. Son but ultime ? Ni plus ni moins que la réconciliation nationale.

« Obtenir réparation »

Sauf que, pour beaucoup, l’IVD n’a pas pu fonctionner correctement, ces dernières années, en raison du blocage orchestré par les politiques – notamment le parti présidentiel, Nidaa Tounès. La présidente de son conseil exécutif, Sihem Ben Sedrine, ex-opposante au régime de Ben Ali, a ainsi dénoncé régulièrement le manque de soutien de la part de l’Etat. Et, après le vote de l’ARP, celle-ci d’affirmer que la non-prolongation du mandat de l’instance marquait un coup d’arrêt pour la justice transitionnelle. Et la démocratie ?

Certains estiment qu’en cas d’échec de ce processus transitoire, les citoyens tunisiens perdraient toute confiance dans l’Etat de droit et les institutions. Pour Amna Guellali, directrice du bureau de Tunisie du Human Rights Watch (HRW), il s’agit clairement d’un « coup d’Etat visant à mettre un terme à la justice transitionnelle ». Surtout, relate Le Monde, les Tunisiens pourraient se sentir floués avec la disparition de l’IVD, qui entrainerait nécessaire un « deux poids, deux mesures » extrêmement dangereux pour la cohésion nationale.

L’an dernier, l’ARP a effectivement adopté une loi sur la « réconciliation administrative » afin d’amnistier les fonctionnaires de l’ancien régime coupables de malversations. « Il faut imaginer la future frustration des victimes de la répression quand ils verront des cadres de l’ancien régime se voir accorder des certificats d’amnistie alors qu’eux-mêmes peinent à obtenir réparation » explique au quotidien français un responsable d’une organisation internationale basée à Tunis. « Ils vont en éprouver un immense sentiment d’injustice ».

« Ils ont peur de l’IVD »

Le risque est donc grand que la population perde toute confiance dans la transition démocratique. Et inutile de préciser quel gâchis ce serait. Car la Tunisie était assurément sur les rails de la démocratie – et sans doute plus que cela. Comme le résumait Sihem Ben Sedrine l’an dernier, alors que l’IVD connaissait une crise de légitimité : « La transition est le moment le plus difficile et le plus ingrat du passage à la démocratie. On n’a plus les avantages de la dictature, on n’a pas encore ceux de la démocratie, mais on a les inconvénients des deux. »

A présent, certains chercheront sans doute à débusquer les coupables. Si le parti islamiste d’Ennahdha a toujours soutenu la prolongation du mandat de l’IVD, ce n’est pas le cas de Nidaa Tounès, qui compte en son sein d’anciennes figures du régime de Ben Ali. Le parti, d’ailleurs, ne cachait pas son hostilité à Mme Ben Sedrine – il a même demandé sa démission lundi dernier -, également critiquée en interne, dans sa propre instance. Si bien que des initiatives parallèles de justice transitionnelle ont commencé à voir le jour.

En quatre ans, depuis sa création en 2014, l’IVD a tout de même recueilli 63 000 dossiers de violation présumée des droits humains. Et pas moins de 49 000 témoignages de personnes relatant ce qu’elles ont subi sous l’ « ancien régime ». Pour Sihem Ben Sedrine, la fin de la justice transitionnelle signifie clairement que les politiques ont encore des choses à cacher. « C’est parce qu’ils ont peur de la justice que nos adversaires veulent en terminer au plus vite avec l’IVD » a-t-elle effectivement déclaré. Après l’espoir de la démocratie, en Tunisie, le règne de l’injustice ?

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