Un an après le début des manifestations, à la frontière israélo-gazaouie, la situation semble toujours aussi inextricable.
« Le Hamas doit savoir que nous n’hésiterons pas à pénétrer [dans la bande de Gaza] afin de prendre toutes les mesures nécessaires […] au regard de la sécurité d’Israël ». Mardi dernier, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, se fendait d’un tweet particulièrement menaçant, à l’égard du mouvement islamiste au pouvoir dans l’enclave palestinienne, située au sud de l’Etat d’Israël. D’où une roquette avait été tirée, dans la nuit, en direction de Tel-Aviv, faisant 7 blessés. Une attaque à laquelle l’armée israélienne a « répondu très très fermement », a également tweeté M. Netanyahou, après que des dizaines de frappes ont été menées dans la bande de Gaza, visant notamment des complexes militaires.
Rebelote, dans la nuit de mardi à mercredi, de nouvelles roquettes ont été tirées depuis le territoire palestinien. Entraînant là aussi une riposte soutenue de Tsahal (l’armée israélienne), fragilisant sérieusement le cessez-le-feu annoncé par le Hamas, sous l’égide de l’Egypte, quelques heures plus tôt. « Si le Hamas pense que nous resterons sans réaction alors que ses tirs de roquettes, ses explosifs et ses intrusions à la frontière israélienne menacent la vie de citoyens israéliens, il se trompe », s’est justifiée l’armée israélienne sur Twitter. Quant à Benjamin Netanyahou, que la perspective des législatives, le 9 avril prochain, oblige à durcir le ton, il a exigé un renforcement des troupes armées autour de Gaza…
« Situation alarmante »
Cette montée de violence, dans le verbe comme dans le geste, n’est pas sans rappeler les trois guerres ouvertes, entre le Hamas et Israël, qui ont éclaté depuis que le mouvement islamiste a pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007. Elle intervient en tout cas à quelques jours d’une échéance cruciale pour les habitants de la bande de Gaza. Qui célèbrent, samedi 30 mars, le premier anniversaire de la « grande marche du retour ». Une série de manifestations organisées annuellement pour commémorer la Nakba (l’exode palestinien ayant suivi la création de l’Etat d’Israël en 1948), mais qui a pris l’an dernier une importance particulière, entre les 70 ans de cette « catastrophe » et l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem au mois de mai.
A l’origine de ce mouvement également, une réunion de facteurs assez alarmants, pour les Gazaouis, qui assistent en ce début 2018 à la réconciliation avortée entre le Hamas et le Fatah (parti qui dirige de facto l’Autorité palestinienne), tandis que la situation économique du petit territoire se détériore de plus en plus. En cause, surtout, le blocus israélo-égyptien mis en place autour de la bande de Gaza, en 2007, mais également l’arrêt de certaines subventions internationales, comme celles des Etats-Unis, Washington ayant décidé l’an dernier de suspendre plusieurs centaines de millions de dollars d’aide pour la Cisjordanie et Gaza. Sans parler des retenues effectuées (140 millions de dollars) par les Israéliens sur les droits de douane versés normalement aux Palestiniens.
En septembre dernier, la Banque mondiale publiait d’ailleurs un rapport sur « la situation alarmante » de l’enclave palestinienne, où « une personne sur deux vit dans la pauvreté et le taux de chômage […] dépasse 70 % » chez les jeunes. L’économie y est « en chute libre », avec un recul de la croissance de 6 % au premier trimestre 2018, et « des signes de nouvelle détérioration depuis lors », pouvait-on lire également. Dans son rapport pour le mois de janvier 2019, le Bureau des Nations unies (ONU) pour les affaires humanitaires (OCHA), de son côté, pointait du doigt « les restrictions de longue date imposées à la circulation des personnes et des biens à destination et en provenance de Gaza [qui compromettent] les conditions de vie d’environ deux millions de Palestiniens » à Gaza.
« Crimes de guerre »
Malgré l’ouverture intermittente du passage d’Erez (nord de Gaza) vers Israël en janvier, plus fréquente qu’à la même époque l’an dernier, la situation humanitaire reste également très préoccupante. Les Gazaouis font face à de régulières pénuries d’électricité et leur accès aux soins tout comme à l’eau est très limité, souligne Médecins sans frontières (MSF), qui alerte sur un « système de santé […] de plus en plus inadapté à la situation ». Surtout depuis qu’ont commencé les manifestations hebdomadaires de la « marche du retour », le 30 mars 2018, lors desquelles les soldats israéliens n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les Gazaouis, les blessant sévèrement au genou notamment (90 % des quelque 6 100 blessés par balles « mutilantes » l’ont été au niveau des membres inférieurs selon MSF), quand ils ne les tuent pas (plus de 200 morts en 1 an).
Sur ce point, tout comme Benjamin Netanyahou dans son tweet de mardi dernier, les autorités israéliennes avancent la sécurité de l’Etat hébreu, menacée par les manifestations du vendredi selon elles, afin de légitimer toute riposte armée. Un argument non recevable pour le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, qui a estimé, dans une enquête publiée en février dernier, que les soldats israéliens « ont tué et mutilé des manifestants palestiniens qui ne constituaient pas une menace imminente de mort ou de blessures graves pour autrui lorsqu’ils ont été visés, et qui ne participaient pas non plus directement à des hostilités ». Un manque de discernement et de proportionnalité qui pourrait valoir à Israël d’être poursuivi pour « crimes de guerre », selon l’institution onusienne.
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Même son de cloche chez Yves Aubin de La Messuzière, ancien ambassadeur français et fin connaisseur du Moyen-Orient, qui tient à mettre en avant le « caractère proprement civil de la ‘‘marche du retour’’ ». Un mouvement qui « n’a rien à voir avec les mouvements les plus extrêmes, à Gaza notamment, comme les radicaux ou les djihadistes. Ici on parle de jeunes désœuvrés, au chômage, qui prennent ce thème du droit au retour [des Palestiniens contraints à l’exode en 1948, ainsi que de leurs descendants, sur leurs terres, ndlr], qui a d’ailleurs été reconnu par toutes les parties, y compris les Israéliens, au moment des Accords d’Oslo », explique celui qui fut directeur de la section Afrique du Nord et Moyen-Orient du ministre des Affaires étrangères entre 1998 et 2002.
Gaza « Inhabitable » en 2020
Problème, selon lui : le Hamas a voulu récupérer la « marche du retour », en poussant les jeunes vers la ligne de démarcation israélo-gazaouie au lieu de les retenir. Dès le premier jour des manifestations, le 30 mars 2018, le chef du mouvement islamiste dans la bande de Gaza, Yahya Sinwar, déclarait effectivement que les « marches » ne cesseraient pas tant que la frontière avec Israël n’aurait pas disparu. L’instrumentalisation des protestations hebdomadaires par le Hamas – qui apparaît sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne (UE) par exemple -, servant en réalité Israël, qui légitime ainsi son feu nourri contre les manifestants – malgré les remontrances de l’ONU -, et le Fatah, pas mécontent de voir son « frère » islamiste s’enfoncer dans la tourmente.
En octobre dernier, Jonathan Cook, journaliste anglais basé à Nazareth (Israël) et spécialiste du dossier israélo-arabe, notait ainsi le manque de « volonté politique de remédier à cette situation. Personne n’est prêt à s’impliquer de manière significative dans la bombe à retardement qu’est Gaza. En fait, les acteurs qui pourraient faire une différence semblent vouloir laisser la situation pourrir ». Israël en maintenant le blocus ; l’Autorité palestinienne en réduisant son aide financière au territoire. « Mahmoud Abbas [patron de l’Autorité palestinienne, ndlr] n’a pas envie de les aider. La catastrophe qui se déroule lentement à Gaza lui sert de moyen de pression pour obliger le Hamas à se soumettre à son pouvoir. […] De plus, Netanyahou a intérêt à maintenir le Hamas au pouvoir à Gaza, pour cimenter la division géographique avec la Cisjordanie et la division idéologique avec Abbas », estimait Jonathan Cook.
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Partant, il y a peu de chance pour que les manifestations de grande ampleur programmées ce samedi 30 mars inversent la tendance et « réhumanisent » le conflit. Malgré tout, et en dépit d’un régime israélien qui se radicalise de plus en plus face à la question palestinienne, la société civile s’active. En témoigne cette tribune signée par plusieurs hautes personnalités de l’Etat hébreu, publiée par Libération lundi dernier, alertant sur « la répression brutale » des manifestants par Israël. Ou encore la travail de fond d’ONG israéliennes telles que Commanders for Israel’s Security, qui tout en rappelant la responsabilité du Hamas dans la crise actuelle à Gaza, milite pour une solution à deux Etats. Pour rappel, si la situation ne s’améliorait pas rapidement, dans l’enclave palestinienne, celle-ci pourrait devenir « inhabitable » en 2020, d’après l’ONU…
Photo : un Gazaoui participant aux manifestations du vendredi. Mohammed Zaanoun/Ac

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