« Le coronavirus, nouvel ennemi commun de synthèse, semble s’être substitué à Daech dans la hiérarchie de la terreur populaire. »
Lorsqu’on dispose d’un minimum d’humilité ou de sens commun, il est toujours proprement exaspérant de devoir digérer ici et là dans les colonnes officielles de la presse française cette immuable tendance au moralisme démocratique vis-à-vis des pays du monde arabe, souvent alimentée d’une mauvaise foi et d’une arrogance scandaleusement professionnelles, qui aujourd’hui, grâce à la patience des uns et la culture des autres, sonne de plus en plus grossièrement l’échec de la pensée unique.
Comme si les puissances occidentales étaient encore, pour la plupart (exception faite de la nation allemande, largement en tête du championnat européen de survie épidémique…), en mesure de donner des leçons de gestion aux gouvernements du Moyen-Orient vu le traitement calamiteux — au mieux amateur — qu’elles emploient sur leur propre sol devant l’épreuve de cette crise sanitaire mondiale, désignée comme telle par leurs agents médiatiques aux ordres en vue d’habiller, aussi fébrilement que de manière démagogique, les conséquences humaines dramatiques d’une crise économique majeure annoncée depuis des années déjà, et dont les responsables — par leurs délits spéculatifs autorisés de faux-monnayage et de racket public — restent parfaitement identifiables : le capitalisme sauvage, bancaire et financier, a atteint ici les limites de son règne.
Bonne conscience démocratiste
On la connaît, leur bonne conscience démocratiste, qui consiste à apporter « l’ordre » et « l’égalité des droits » partout où il est possible de « faire affaire » (pardonnez l’euphémisme moqueur de la formule) : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, les exemples récents sont nombreux pour démontrer concrètement, humainement, les ravages socio-économiques et l’ingérence criminelle d’États ultralibéraux en terre étrangère disposant de ressources naturelles au potentiel mercantile évident, aidés en cela de leurs satellites régionaux historiquement traîtres à une éventuelle harmonie panarabe : Israël et ses cousins monarchiques du Golfe Persique (Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Oman, Bahreïn, Émirats arabes unis), dont on sait également le peu de considération (pardonnez encore l’euphémisme de la formule) manifesté à l’égard du peuple palestinien colonisé et la crainte purement vénale — devant les risques d’atteinte au confort du pétrodollar — de l’agitation militaro-idéologique du voisin iranien.
Ajoutons à cela, dernièrement, l’exécution politique par le gouvernement Trump du très populaire Qassem Soleimani, comme en un vaste jeu d’échecs biaisé dont la subtilité des coups devrait échapper au commun des mortels. Nous ne pouvons qu’assister, et oublier les morts, plus ou ou moins lointains, noyés sous un déferlement abrutissant d’informations dont la futilité et l’inconsistante distraction enterrent une deuxième fois de façon obscène les cadavres de nos soldats et de gamins qu’on a réprimandés au phosphore blanc ; comptant sur l’éclat de faits-divers locaux, sur les prophètes et comiques de seconde zone pour contribuer à l’effort communautaire de dissimulation et de désinformation. Il est toujours plus confortable de ne pas savoir.
Meurtres et destruction, au nom du sacro-saint progrès, de sociétés tribales à l’équilibre complexe et fragile, héritières de civilisations multimillénaires et d’empires antiques pionniers en leur temps, dont le rayonnement scientifique, culturel, commercial et administratif (il suffit de s’intéresser pour cela, entre autres, au fonctionnement précurseur de l’État pharaonique) tendra à être généreusement méprisé au profit d’une idéologie moderniste et pataude tout à fait caractéristique des manies spéculatives de l’Oncle Sam (comme de « l’Oncle Joe » Biden), qui derrière ses airs sécurisants de bon meneur libéral, semble en réalité porter tous les vices dissimulateurs du tonton incestueux.
Ce virus providentiel n’est-il pas l’occasion de dresser un bilan juste et adulte de la politique de domination, de destruction et de pillage menée impunément par les États-Unis d’Amérique depuis leur création ? Pour forcer le complotisme, n’est-ce pas, on pourrait rappeler ici certaines des méthodes les plus effroyablement imaginatives employées dans l’admirable et très cinématographique « Conquête de l’Ouest » : par exemple, comment on a éliminé une partie des Indiens d’Amérique, ces êtres plutôt gênants et insolemment indépendants, trop primitifs et mauvais consommateurs, en leur offrant charitablement quelques couvertures infectées de variole… Comme quoi, le concept de guerre biologique ne date pas d’aujourd’hui. Ni celui de génocide humain des années 1940.
Après plusieurs décennies de tentatives néocolonialistes à coups d’idéologies fallacieuses et belliqueuses, de victimisation et d’infantilisation des peuples du monde arabe, le temps n’est-il pas venu, pour les fauteurs de guerre, de rendre quelques comptes ?
Virus de l’inceste
Comment expliquer, à l’époque de la prévention globale, de l’ultracommunication, de la spéculation et la hiérarchisation acharnées — enseignées ici et là par d’éminents spécialistes en parade (qui n’auraient d’éminent que leur propension au bavardage théorique) —, une telle débâcle décisionnaire dans la gestion pratique de l’épidémie en Europe ou en Amérique du Nord, sinon par une volonté de nuire ? N’est-ce pas là la défaite terminale de la société de l’abstrait contre celle du réel ?
La plupart des gens ne demandent qu’à vivre sereinement, simplement. Les autres, présents aux commandes, plus ou moins visibles, plus ou moins otages du tribalisme, ne constituent qu’une — insignifiante — minorité mathématique. Cette dernière n’étant dominante que par son organisation matérielle et sa tyrannie héréditaire. Mais numériquement, rien n’est insupportable. Si l’on vous a fait croire que vous ne changerez pas le monde sans accéder aux modalités laborieuses de l’autorité d’un côté, ou de la culture de l’autre, c’est qu’on vous a bien eus. Anthropologiquement, seule la bonne santé — physique et mentale — de chacun suffit pour changer le monde, c’est-à-dire œuvrer collectivement en faveur d’une justice oubliée. Accordons-nous maintenant sur la définition de cette bonne santé.
Lorsque des journaux français nécessairement subventionnés par l’État s’appliquent immanquablement à esquinter la légitimité de gouvernements militaires moyen-orientaux, qu’ils ont largement et aveuglément contribué à diaboliser par d’absurdes obsessions universalistes, faussement égalitaristes, on est tout de même en droit de penser aujourd’hui qu’il s’avère préférable, et finalement plus rassurant, de confier le pouvoir de la nation à des stratèges de l’armée plutôt qu’à une élite financière et bureaucratique dont l’influence tient plus du processus oligarchique de cooptation que de la reconnaissance morale du mérite et des compétences. L’intérêt général, pour qui ? N’oublions jamais que nos armées, avant d’être celles d’Agamemnon ou d’Alexandre le Grand, ont pour fonction première de protéger la population, d’elle-même comme de l’intrus malfaisant.
Et si certaines populations paraissent indisciplinées quant aux mesures de confinement obligatoire à Paris comme à Bombay, ce n’est pas parce qu’elles portent en elles le gène de l’indiscipline, c’est avant tout parce qu’elles crèvent la faim. Elle est là, la véritable lutte pour la survie, triviale et scandaleuse.
Les millions d’enfants des rues, de miséreux, de déclassés des bidonvilles du Caire et d’ailleurs, n’ont pas attendu le virus du siècle pour mourir de toutes les affections possibles, de la malnutrition, de l’abandon, de violences sociales, familiales, sexuelles et psychologiques irrésolues sans que l’on s’en inquiète outre mesure. Alors, contre quoi doit-on se révolter prioritairement ? La mort d’une brave pensionnaire de maison de retraite climatisée du fait d’une nouvelle épidémie mondiale — dont le taux de mortalité ne semble pas beaucoup plus élevé que celui de la grippe saisonnière — ou celle d’un gamin qu’on a été incapable de nourrir et protéger du virus de l’inceste ?
A qui profite le crime ?
Le confinement sanitaire n’est matériellement qu’une affaire de bourgeois obéissant. Au nom de quelque pseudo-lutte commune contre la diffusion malencontreuse d’un virus de laboratoire aux origines pour le moins obscures, on a paralysé du jour au lendemain, sans autre forme de procès, l’économie réelle de la plupart des pays du monde, mettant définitivement à mort une classe moyenne alors en voie de rébellion légitime devant l’indécence impunie d’inégalités sociales de plus en plus pressantes.
Comment le coiffeur, le restaurateur, l’artisan, le petit commerçant, déjà taxés à mort, se relèveront-ils de cette attaque massive, perpétrée de la plus arbitraire des façons, par nos dirigeants occidentaux, misérables valets du pouvoir bancaire profond qui cherche ainsi à sauver sa délictueuse affaire ?
Le citadin syrien, en désignant incrédule les rangées de rideaux métalliques baissés des rues désespérément vides du vieux Damas, vous dira que même durant les dernières années de cette guerre civile que personne n’a jamais voulue, la porte des coiffeurs et des restaurateurs restait invariablement ouverte.
Protéger, oui, mais protéger qui ? Contre quoi ? Dans quel but ? En fait, c’est une certaine idée de l’indépendance qu’on achève ici, celle du peuple, de la classe intermédiaire, qui vit des activités de ses productions locales et petites entreprises, et celle de tous les esprits volontaires résistant au mondialisme de rigueur contenu dans cet assujettissement médiatique protéiforme qu’ils n’entendent plus accueillir aussi fatidiquement.
En un sens, l’on connaît une époque formidable car éminemment révélatrice, cette menace sanitaire invisible et diffuse étant l’illustration radicale du principe d’égalitarisme, si cher à nos élites prétendument progressistes, où personne — a priori — n’est susceptible d’être épargné.
Peut-être conviendrait-il maintenant de prendre un peu de hauteur en s’appropriant le courage intellectuel d’aller au-delà des belles formules virales du genre « Restez chez vous », « Protégez-vous », « Nous sommes Charlie », pour considérer sérieusement, pragmatiquement, la situation. Il y a eu des morts, et il y en aura encore beaucoup. Comme dans toute enquête — honnête — de police criminelle, nous voilà désormais invités à nous poser solidairement la bonne question : dans cette guerre souterraine de l’information, à qui profite le crime ?
Le terrorisme, quel que soit l’artifice ou le nom qu’il emploie, n’est efficace que s’il est médiatique : puisque le coronavirus, nouvel ennemi commun de synthèse, semble s’être substitué à Daech dans la hiérarchie de la terreur populaire, et plutôt que d’espérer sottement le vaccin rédempteur, pourquoi ne pas pratiquer l’automédication la plus radicale en nous débarrassant valeureusement de toute source informative et en nous faisant, enfin, confiance ?
Crédits photo : Des réfugiés syriens assistent à une réunion d’information sur le coronavirus, le 16 mars 2020, dans un camp de réfugiés à côté d’Atimah, dans la région d’Idlib. Aaref Watad/AFP

Reporter photographe indépendant et enseignant basé au Maroc, Rorik Dupuis Valder a notamment exercé en Égypte auprès des enfants des rues, s’intéressant particulièrement aux questions liées à l’éducation, la protection de l’enfance et aux nouvelles formes de colonialisme.