En Egypte, on parle encore de « déviance sexuelle »

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29.07.2019

Le TIMEP, dans une note publiée le 17 juillet, alerte sur la difficulté pour les personnes LGBTQ d’exister, en 2019, en Egypte.

La discrimination à l’encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et queer (LGBTQ), en Egypte, a toujours le vent en poupe. Alors qu’une enquête conduite en 2013 par le Pew Research Center révélait que, pour 95 % des Egyptiens, l’homosexualité ne devrait pas être acceptée par la société, cette dernière n’a vraisemblablement toujours pas viré sa cuti. C’est ce que révèle une note publiée le 17 juillet dernier par le Tahrir Institute for Middle East Policy, qui mentionne expressément les « obstacles supplémentaires en tant que groupe socialement et juridiquement marginalisé » auxquels les personnes LGBTQ font face.

Efforts de sensibilisation

Bien que la loi égyptienne ne criminalise pas explicitement ces « comportements déviants », comme il est encore coutume de les appeler, les autorités égyptiennes, pour satisfaire certaines franges citoyennes conservatrices et nimbées de religiosité, s’érigent en « gardiennes de la moralité » et œuvrent à l’entretien d’une telle discrimination. Ainsi la loi 10 de 1951, qui interdit la débauche et fut initialement promulguée pour criminaliser la prostitution, « a servi à justifier l’arrestation et l’emprisonnement subséquent d’hommes gays à partir des années 1990 et d’autres personnes LGBTQ plus tard », renseigne le TIMEP. Qui énumère également les divers articles du Code pénal égyptiens ayant « également été utilisés pour cibler » ces citoyens.

Aujourd’hui, il est même difficile, voire impossible d’apporter son soutien ou de sensibiliser l’opinion sur le sujet, plus que jamais tabou. Selon l’organisation internationale de défense des droits des LGBTQ All Out, l’Egypte est l’un des 55 pays qui « créent » des obstacles juridiques et administratifs empêchant les groupes de soutien de s’enregistrer officiellement. « Ce qui entrave mécaniquement les efforts de sensibilisation, la fourniture de services sanitaires et juridiques ainsi que de lieux sûrs, pointe du doigt le TIMEP. Les organismes qui travaillent sur les questions LGBTQ doivent le faire sans faire connaître leur travail au grand public ou, dans certains cas, leurs pairs. »

« Une maladie et une honte »

Le 30 septembre 2017, le Conseil suprême de régulation des médias en Egypte a par exemple interdit toute mention ou couverture médiatique des questions LGBTQ, sauf à préciser le… « danger » de l’homosexualité et des « déviances sexuelles »« L’homosexualité est une maladie et une honte qu’il vaudrait mieux cacher à la vue de tous et ne pas promouvoir pour diffusion tant qu’elle n’est pas traitée et sa honte enlevée. Il s’agit de préserver l’ordre et la décence publique, ainsi que les valeurs et les croyances correctes de la société », est-il écrit sur le communiqué du Conseil, traduit par l’organisation Human Rights Watch.

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En janvier dernier, l’animateur vedette de la chaîne LTC TV Mohammed al-Gheiti – qui s’est toujours dit opposé à l’homosexualité – a ainsi été condamné par un tribunal égyptien à un an de prison ferme, après avoir été reconnu coupable de « promotion de l’homosexualité », d’incitation à « l’immoralité et à la haine » et d’ « outrage aux religions ». En août 2018, il avait interviewé un homme homosexuel dans son émission, alors que le Conseil suprême de régulation des médias, ouvertement conservateur et pro-régime, « interdit aux homosexuels d’apparaître dans tout média, qu’il soit écrit, audio ou visuel, sauf s’ils reconnaissent que leur conduite est inappropriée et s’en repentent ».

Peu après la publication du communiqué par le Conseil, la présence de drapeaux arc-en-ciel, emblèmes de la communauté LGBTQ, à un concert du groupe libanais Mashrou Leila – qui fait d’ailleurs face actuellement à la censure dans son propre pays – au Caire en octobre 2017, avait entraîné l’arrestation d’une centaine d’Egyptiens – dont certains ont écopé de peines allant jusqu’à 6 ans de prison. Et un vaste tollé dans les médias. « L’homosexualité est un crime aussi terrible que le terrorisme », s’était exprimé aux grandes heures d’écoute Ahmed Moussa, un présentateur de télévision. Quant au poète Mohsen al-Balasy, défenseur notoire de la cause LGBTQ, il s’était fait éjecter du plateau de la télévision Al-Mehwar après avoir apporté son soutien à la communauté. Des téléspectateurs n’avaient pas hésité à décrocher leur téléphone pour dénoncer son attitude : l’un d’entre eux soutenant que les homosexuels devaient être tués ; un autre proposant que « tous ces enfants [soient] parqués sans plus attendre ».

Violation des engagements

« Je suis terrifié par cette société qui excommunie tous ceux qui sont différents », avait eu le temps de déclarer à l’antenne Mohsen al-Balasy, alertant sur la discrimination encore très farouche qui règne en Egypte. Et se retrouve dans la vie de tous les jours. « Les personnes LGBTQ […] sont victimes de discrimination de la part de leurs concitoyens égyptiens lorsqu’il s’agit de questions comme l’emploi et le logement, note le TIMEP. Après sa visite en Egypte en octobre 2018, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour le droit au logement, Leilani Farha, a signalé que des personnes LGBTQ étaient expulsées, privées de logement et harcelées en raison de leur identité sexuelle ».

« Le climat culturel général en Egypte pour de nombreuses personnes LGBT […] est un climat de harcèlement, d’intimidation et de discrimination, qui se répand et se manifeste de façon aiguë dans le secteur du logement. […] Ce que j’ai trouvé de plus troublant, c’est le déni d’identité exigé de nombreuses personnes LGBT pour qu’elles puissent vivre dans un logement sûr », a déclaré Leilani Farha dans un communiqué publié le 3 octobre 2018.

Dans la foulée du concert de Mashrou Leila en 2017, acmé de la répression anti-LGBTQ en Egypte, les membres du Parlement avaient proposé un projet de loi criminalisant, non seulement les actes homosexuels, mais également les démonstrations de soutien à la communauté LGBTQ. La loi ne sera jamais adoptée. Il n’empêche, « en vertu des engagements juridiques nationaux et internationaux de l’Egypte, précise la note du TIMEP, [le pays] est tenu d’assurer l’égalité des chances à tous ses citoyens sans discrimination, de traiter ses citoyens sur un pied d’égalité devant la loi et de na pas opérer de discrimination ». L’exact inverse de ce que connait le pays aujourd’hui, qui viole donc de manière « manifeste » ses engagements.

« Nous sommes devenus arriérés »

L’Institut, qui rappelle que « la persécution des personnes LGBTQ égyptiennes n’est pas un phénomène nouveau », braque notamment les projecteurs sur l’incident du « Queen Boat », une boite de nuit gay, survenu en 2001, au cours duquel 52 hommes avaient été arrêtés pour « débauche habituelle ». Le réalisateur égyptien Maher Sabry, célèbre défenseur de la cause LGBTQ en Egypte, s’était inspiré de cette affaire pour réaliser, en 2008, le film All my life. Qui avait suscité, à sa sortie, un déchaînement de passions hostiles à l’endroit de l’œuvre comme de l’auteur. De la part, notamment, des franges religieuses du pays. « Cela montre à quel point nous sommes devenus arriérés », avait alors déclaré Maher Sabry.

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