Lors de la première audience de son procès, on apprenait qu’al-Bachir aurait perçu d’importantes sommes de la part de Riyad.
L’étau se resserre autour d’Omar al-Bachir. L’ancien président soudanais, déposé par l’armée le 11 avril dernier après 30 ans de pouvoir et un soulèvement inédit de la rue, comparait depuis le 19 août devant un tribunal de Khartoum. Il fait face à de lourdes accusations de « corruption », « possession de devises étrangères » et « trafic d’influence ». S’il plaide non coupable et si sa défense, optimiste, demande sa libération sous caution, les témoignages accablants affluent. En filigrane, c’est la capacité de la justice saoudienne à se prononcer sans intervention extérieure qui se joue.
90 millions de dollars en espèces livrés par l’Arabie saoudite
En cage. Si les barreaux derrière lesquels l’ancien homme fort de Khartoum comparait depuis 10 jours sont censés le protéger d’éventuelles agressions, difficile de ne pas y voir une préfiguration du sort qui l’attend, tant s’accumulent les informations compromettantes à son sujet. Lors de la première audience de son procès, le 19 août, un enquêteur, le brigadier Ahmed Ali, affirmait ainsi avoir obtenu des aveux d’Omar al-Bachir, selon lesquels il aurait perçu d’importantes sommes de la part de l’Arabie saoudite, en partie « livrées par certains des envoyés de Mohamed ben Salman (MBS) », le prince héritier du Royaume.
Le 24 août, lors de la seconde audience, le juge a de nouveau entendu 3 témoins, dont deux enquêteurs ayant perquisitionné la résidence de l’ancien président. Ils ont confirmé y avoir trouvé près de 7 millions d’euros, ainsi que des montants plus modestes en dollars américains et en livres soudanaises. « L’accusé nous a dit que l’argent faisait partie d’une somme de 25 millions de dollars qui lui avait été envoyée par le prince Mohamed ben Salman pour être utilisée en dehors du budget de l’État », a expliqué l’un des enquêteurs, ajoutant qu’Omar al-Bachir lui avait affirmé avoir reçu deux paiements de 35 et 30 millions de dollars du roi Abdallah d’Arabie saoudite, décédé en 2015.
Un procès en forme de test pour la justice saoudienne
Pourtant, en dépit du sérieux des accusations portées à son encontre, des voix se font entendre pour contester par anticipation les conclusions des juges. Quel crédit apporter à un tribunal, s’interroge par exemple Quscondy Abdulshafi, chercheur indépendant et analyste du conflit soudanais, dont nombre des membres seraient proches de l’ancien pouvoir ? Selon Abdulshafi, « le système judiciaire est vicié. Les juges qui ont été nommés étaient les membres les plus fidèles du parti ». En septembre 2018, al-Bachir avait promu des centaines de hauts magistrats, le nombre de juges nommés par le pouvoir à la Cour suprême passant par exemple de 300 à 500.
Selon de nombreux observateurs, le procès de l’ancien dirigeant aurait avant tout pour ambition de montrer que la justice soudanaise est fonctionnelle, capable de se prononcer de façon autonome, sans ingérence extérieure. Pour ce faire, en plus de rendre un verdict éclairé sur les affaires de corruption entourant Omar al-Bachir, sans doute devra-t-elle également s’intéresser aux crimes qu’on le soupçonne d’avoir commis ou commandités – ce que ne manquaient pas de rappeler les manifestants présents aux abords du tribunal le 24 août dernier.
La corruption, monnaie-courante au Soudan… et au Soudan du Sud
Si la justice soudanaise a encore toutes ses preuves à faire, il en va de même pour celle du Soudan du Sud. Le plus jeune Etat du monde, sécessionniste en 2011, a ainsi dû attendre l’ouverture d’une enquête par le Serious Fraud office (SFO), autorité britannique de lutte contre la fraude financière, pour que soit mis en cause son ex-ministre des Finances, David Deng Athorbei.
Africa Intelligence révèle que la société De La Rue International, premier producteur mondial de billets de banque et imprimeur de documents sécurisés, aurait effectué plusieurs versements de plus de 200 000 dollars sur le compte d’Emmanuel Makuach Ayuel, consultant de la Bank of South Sudan et par ailleurs associé en affaires de l’ancien ministre. Juste avant la signature, en 2015, d’un nouveau contrat entre l’Etat et De La Rue portant sur l’impression de 500 millions de livres sud-soudanaises, le fils de David Deng Athorbei aurait en outre utilisé les comptes de deux de ses sociétés pour sortir des devises du pays.
Pointant, selon le dernier indice Transparency International de perception de la corruption dans le monde, respectivement à la 175e et 179e places sur 180 pays étudiés, le Soudan et le Soudan du Sud gagneraient à mener une lutte sincère et sans merci contre la corruption. Si le parquet de Khartoum entend être pris au sérieux dans ses prétentions à rendre justice sans l’intervention d’organismes internationaux, il serait également inspiré d’engager des poursuites contre Omar al-Bachir pour son implication dans le conflit du Darfour, ayant fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés en 2003, et pour lequel la Cour pénale internationale (CPI) exige qu’il soit jugé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
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