Affaire Khashoggi : Emmanuel Macron préfère l’argent à la morale

En refusant de suspendre les ventes d’armes à Riyad, le chef de l’Etat français a manqué une occasion en or de faire plier MBS.

L’argent ou la morale ? Cette question, de nombreux partenaires de Riyad se la posent régulièrement (ou feignent de se la poser). Nouer des ententes culturelles poussées, tisser des liens diplomatiques solides, commercer, tout simplement, avec les Saoudiens : pas facile, a fortiori lorsque ces derniers sont soupçonnés d’avoir commandité un assassinat politique. Car il ne fait plus l’ombre d’un doute que le meurtre de Jamal Khashoggi, journaliste saoudien exilé aux Etats-Unis depuis un an, le 2 octobre dernier au consulat saoudien d’Istanbul (Turquie), « a été prémédité et a impliqué des responsables de l’Etat », comme l’a conclu Agnès Callamart, experte des Nations unies (ONU).

Les dessous de l’affaire

La Turquie, déjà, par la voix de son président, Recep Tayyip Erdogan, avait affirmé la semaine dernière qu’il s’agissait d’un « assassinat politique », ce qui avait forcé Riyad à rétropédaler et reconnaître le meurtre du journaliste. S’il est probable que les Saoudiens tenteront coûte que coûte de préserver l’image du prince héritier, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), vivement soupçonné d’être l’instigateur de l’affaire, l’étau se resserre tout de même autour du régime saoudien, qui devra faire face à une enquête internationale, menée par l’ONU, afin de faire la lumière sur les événements. Reste à savoir comment réagir, en tant que partenaire de Riyad, dans cette situation.

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Et à ce petit jeu-là, l’Allemagne est le pays qui a fait la plus forte impression. Depuis Prague (République tchèque), où elle était en visite, la chancelière allemande, Angela Merkel, a confirmé la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite – deuxième client de l’industrie allemande de l’armement, selon Der Spiegel. Et ceci tant que les dessous de l’affaire ne seraient pas « éclaircis ». Une décision courageuse, quoi qu’en disent certains, qui avancent le faible montant des licences d’exportation d’armes allemandes vers le royaume (416,4 millions d’euros pour 2018) pour expliquer le choix de la chancelière. Et une décision, surtout, dictée par la morale, cette chose étrangère au président français.

Rentrer dans le rang

Emmanuel Macron, qui, comme Theresa May et Angela Merkel, a souhaité une enquête exhaustive dans l’affaire, a un avis tout aussi tranché que celui de son homologue allemande, sur la question des livraisons d’armes à l’Arabie saoudite. Mais a manifestement privilégié l’argent à l’éthique, en refusant de suspendre les livraisons d’armes françaises à Riyad, deuxième plus gros client de la France, qui a passé entre 2008 et 2017 pour plus de 11 milliards d’euros de commandes d’armements. Une somme que Paris ne peut ignorer, certes, mais qui ne devrait rien peser face à la cruauté d’un régime qui, s’il bénéficie du doute dans l’affaire Khashoggi, est clairement responsable de la situation catastrophique au Yémen.

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Le pays le plus pauvre de la péninsule Arabique connait depuis plus de quatre ans une effroyable guerre à laquelle prend part Riyad. Et la France, indirectement, puisque des armes tricolores ont été utilisées sur le sol yéménite. En refusant de suspendre les livraisons de matériel militaire à l’Arabie saoudite, Emmanuel Macron ne va pas seulement à l’encontre du droit international et européen – qui interdit ce genre de commerce avec un régime susceptible de bousculer l’équilibre d’un Etat, voire d’une région, ce que font les Saoudiens. Il a manqué une occasion en or de faire rentrer dans le rang MBS, visiblement intouchable tant que son père règnera et que les Etats-Unis le soutiendront.

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