« Nos relations avec ces Etats pourraient être amenées à s’en trouver modifiées » estime le consultant Matthieu Anquez.
Le terme « pétromonarchie », fréquemment utilisé pour qualifier les monarchies arabes du golfe arabo-persique, tout comme celui de « pétrodollar », pour désigner leurs ressources financières, illustrent de manière évidente leur forte dépendance à l’égard de la ressource pétrolière et gazière.
Pourtant, la plupart se sont engagées dans des politiques de transition économique, dont l’objectif est de réduire leur dépendance à l’égard de cette quasi mono-ressource. La chute des cours du baril dès 2014 a prouvé leur vulnérabilité, leurs budgets provenant pour l’essentiel de l’exportation des hydrocarbures. Des politiques de transition économique ont donc été annoncées, et parfois mises en œuvre, à grand renfort de communication. La plus célèbre est la Vision 2030 de l’Arabie saoudite, lancée par le bouillant Mohamed ben Salman al Saoud, alors vice-prince héritier du trône, en 2015.
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Une question intéressante serait d’évaluer quel pourrait être l’impact à venir des différentes politiques de transition dans les futurs rapports de puissances dans la péninsule arabique. Nos relations avec ces Etats pourraient être amenées à s’en trouver modifiées.
Quatre facteurs différenciants
Pour se risquer à une hiérarchisation entre les monarchies dans un avenir proche, quelques décennies au plus, il conviendrait d’examiner quels sont les principaux facteurs à considérer pour évaluer le potentiel de chacune dans la réussite de leurs politiques de transition. Quatre peuvent être perçus comme centraux.
La structure démographique tout d’abord. La plupart des pétromonarchies ont une population indigène faible, quelques centaines de milliers à quelques millions, et une part très importante (jusqu’à plus de 80 % au Qatar) d’immigrés. L’exception est ici l’Arabie saoudite, qui compte environ 30 millions d’habitants, dont seulement un tiers d’immigrés. Or, il est plus simple de fournir du travail et de redistribuer les richesses lorsque la population est faible, même si le socle démographique saoudien représente aussi un atout en termes de main d’œuvre nationale disponible.
Deuxième facteur, le niveau de formation des populations. Ceci représente un véritable obstacle, ce niveau étant évalué par l’ensemble des acteurs économiques présents dans la région comme notoirement insuffisant. Or, pour réussir une transition économique, il faut former des ingénieurs, des ouvriers qualifiés, des cadres intermédiaires. Ceux-ci font cruellement défaut malgré la création d’universités.
Troisième facteur, le niveau de diversification des économies. Dans ce domaine, ce sont les Emirats arabes unis (EAU) qui se distinguent, Abou Dabi ayant entamé une conversion économique dès les années 1980, notamment dans les services et l’industrie (comme l’aluminium). L’Arabie saoudite a 30 ans de retard sur son petit voisin dans ce domaine.
Quatrième facteur, et non des moindres, la capacité financière pour attirer les investisseurs étrangers et lancer les grands projets. Riyad est cette fois la mieux positionnée grâce à sa très importante production pétrolière. Cependant, et cela est à la fois peu connu et fondamentale, la consommation intérieure de pétrole pourrait dépasser la production (et donc la part disponible à l’exportation génératrice de devises) à l’horizon 2040, laissant l’Arabie saoudite sans réelles capacités budgétaires avec les conséquences que l’on peut imaginer pour sa stabilité intérieure.
Emirats arabes unis et Qatar en tête, Arabie saoudite ensuite
La prise en compte de ces facteurs permet de proposer une hiérarchie sur la capacité des pétromonarchies à réussir leur transition. Deux Etats apparaissent ainsi comme étant les mieux armés. A commencer par les EAU, dont la diversification déjà ancienne, la capacité financière et la stabilité intérieure les positionneraient en tête. Le pays est suivi de près par le Qatar, qui a entamé une politique ambitieuse et qui bénéficie en outre d’un vrai atout : sa richesse actuelle (et surtout future) est garantie par les troisièmes réserves connues de gaz naturel, qui pourraient durer deux siècles au rythme d’exploitation actuel.
Par ailleurs, le pays jouit d’une forte stabilité intérieure, la seule menace paraissant davantage être celle représentée par son puissant voisin saoudien. Le Bahreïn, quasi satellite de l’Arabie saoudite, et le Koweït devraient suivre dans le classement proposé, même si le premier est confronté à une forte instabilité intérieure provenant de sa population chiite (majoritaire dans la monarchie exercée par une dynastie sunnite).
Enfin, le cas de l’Arabie saoudite apparaît problématique à terme. La Vision 2030 n’a pas encore véritablement donné lieu à des projets concrets, l’essentiel relevant de l’effet d’annonce. De véritables questions se posent sur sa stabilité future, surtout si l’on prend en compte la diminution progressive des exportations pétrolières. La diplomatie erratique du prince héritier pourrait également nuire aux intérêts futurs du royaume…
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Cette grille de lecture, à affiner, pourrait être utile aux acteurs économiques et aux décideurs politiques européens. La péninsule Arabique est certes prometteuse, mais les défis sont tels qu’elle pourrait être fortement déstabilisée.

Matthieu Anquez est un expert en géopolitique, président d’ARES Stratégie. Il est notamment l’auteur de Géopolitique de l’Iran, puissance dangereuse ou pays incompris ? (Argos, 2014, 168 pages).