« Grâce au concours de l’OIT, il semble que Doha soit pionnier sur ce sujet dans la région du Golfe », estime le politologue.
« Depuis 2018, de nombreuses réformes ont été adoptées sous l’impulsion du Comité national des droits de l’homme du Qatar et l’action du ministre du Travail, le Dr Ali Al Marri. Il s’agit notamment de la suppression du système de la Kafala, de la mobilité des travailleurs, de l’introduction du salaire minimum, des mécanismes de santé et de sécurité au travail, de la création d’un fonds social, de la mise en place de dispositifs de négociation collective, etc. » C’est en ces termes que Maria Arena, présidente de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen, a souligné les avancées du Qatar en matière de droit du travail, lors d’un atelier organisé par le Comité national des droits de l’homme du Qatar et sa présidente, le Dr Maryam Al Attiyah, le jeudi 12 mai.
Grâce au concours de l’agence onusienne de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), il semble que Doha soit pionnier sur ce sujet dans la région du Golfe. Trop peu de pays se lancent ou s’en inspirent et pourtant le Qatar continue à subir des critiques permanentes sur le sujet. Si le progrès est majeur, il est important comme le mentionne également Maria Arena, d’accompagner ce vent de réformes, sur le plan politique et veiller à ce que les nouvelles lois soient appliquées. C’est souvent là toute la difficulté face à de nombreuses entreprises locales ou internationales peu scrupuleuses. De toute façon, il était devenu intenable il y a plusieurs années pour Doha, avec l’approche d’un tel évènement mondial, de continuer à pratiquer un droit ancestral qui ne pouvait répondre aux attentes occidentales. Avec tous les projecteurs sur lui, le petit émirat devait profiter de l’occasion pour se moderniser. Arena le souligne d’ailleurs : « Il ne fait aucun doute que la Coupe du monde a été un accélérateur de changement. Toutefois, les efforts déployés jusqu’à présent doivent être maintenus afin de préparer l’économie et la société qataries aux défis futurs et de garantir que la qualité des conditions de travail bénéficie de l’investissement à long terme dont elle a besoin. »
Comment en est-on arrivé là ? Le Qatar-bashing est devenu depuis longtemps une religion pour certains. Le sujet des droits des travailleurs est sûrement parmi les plus sensibles et, de fait, la situation n’était pas bonne il y a dix ans, comme dans tout le Golfe. Mais le Qatar l’a reconnu et a entamé un long processus d’évolution et d’ouverture qui a porté ses fruits mais demande encore de nettes améliorations, ce que le pays ne nie pas. Néanmoins, la région n’est pas pressée de suivre le mouvement : aux Émirats arabes unis, le système de parrainage moyenâgeux de la kafala existe toujours, le blanchiment d’argent et la spéculation dans l’immobilier sont devenus religion d’État, et les chantiers employant une main-d’œuvre immigrée dans des conditions difficiles sont légion. D’autant qu’il y a sur place dix à vingt fois plus de chantiers qu’au Qatar, ne serait-ce qu’à Dubaï. En Arabie saoudite, l’opacité est totale, en particulier en ce qui concerne les grands chantiers de la ville futuriste de Neom, pensée et développée par Mohamed Ben Salmane à la tête d’un des pays les plus rétrogrades du monde arabe du point de vue des droits humains. Alors que les attaques contre Doha fleurissent à nouveau, on semble oublier que tout ce qui a été reproché à l’État qatari depuis dix ans l’a fait avancer en la matière et l’a poussé à collaborer avec les institutions internationales. C’est ce qu’a voulu souligner le Parlement européen ces derniers jours.
Corriger les failles
Le Qatar a organisé près de 450 compétitions de dimension internationale depuis vingt ans. En novembre prochain, il accueillera la Coupe du monde de football, qui se tiendra pour la première fois dans un pays arabe. Voir la plus grande manifestation sportive du monde organisée dans un pays musulman, c’est un évènement suffisamment rare dans l’histoire de la région, prise entre crises et instabilité permanente depuis des décennies, pour s’en réjouir a minima. L’attribution de la Coupe du monde ne signifie toutefois pas que le Qatar s’était vu délivrer un blanc-seing : il doit maintenir la pression et poursuivre ce long chantier entrepris depuis plusieurs années afin de produire un embryon de droit du travail pour les 80 % de sa population qui sont immigrés et viennent essentiellement d’Inde, du Bangladesh et du Népal. Il est un peu absurde de résumer les économies que réaliserait le Qatar sur le dos de ces populations, alors qu’un salaire minimum vient d’être mis en place, que les heures supplémentaires sont plafonnées, et que ces ouvriers envoient le gros de leurs revenus à leurs familles restées dans leur pays d’origine.
Les revenus issus de la Coupe du monde seront bien plus importants que de prétendues économies de bouts de chandelles réalisées au détriment des immigrés. Il y a dix ans, le témoignage d’un chauffeur de taxi venu de l’océan Indien était parfois douloureux à entendre. Aujourd’hui, les étrangers manifestent leur souhait de continuer à travailler au Qatar au regard de la situation dans les pays voisins.
On peut continuer à appeler au boycott, crier au scandale… Et après ? Surtout quand le pays en question, tel le Qatar, reconnaît ses failles et cherche à les corriger. Ne vaut-il pas mieux miser sur les évolutions et contraintes induites par le jackpot que représente l’organisation d’un tel événement, pour faire passer un message ? La Coupe du monde 2022 pourrait servir à cela. Et parce que les instances qui attribuent ces compétitions seront régulièrement confrontées aux mêmes polémiques, ne faudrait-il pas tout simplement inclure dans les candidatures désormais un chapitre clair et précis sur le respect des droits humains ? Cela fera gagner du temps à tout le monde. En choisissant un pays hôte, les fédérations lancent aussi un message d’espoir vers des régions où l’organisation de grandes compétitions est moins attendue et pourrait permettre à certains pays d’accélérer leur développement dans de nombreux domaines.
Plutôt que d’exclure par principe tout le Moyen-Orient, ne vaut-il pas mieux accompagner les pays dans leur ouverture, ne pas condamner d’emblée ceux qui tentent d’améliorer les choses, même s’ils reviennent de loin ? Quant à multiplier les appels au boycott, cela enverrait un bien mauvais signal aux futurs pays qui décrocheront des compétitions majeures en dehors du cercle occidentalo-centré – ce qui arrivera de plus en plus, car le monde glisse à l’est – et qui renonceraient dès lors à toute ouverture, s’estimant condamnés d’avance. Condamnation d’autant plus injuste que les exemples du Brésil ou de l’Inde nous ont montré que rien ne prouve que les démocraties « à l’occidentale » d’aujourd’hui n’abritent pas les régimes populistes anti-démocratiques de demain.
