Le fait de réduire la place des femmes à un débat sur l’égalité en matière d’héritage montre que la Tunisie ne les comprend pas.
Lors les récentes tractations électorales, plusieurs inventions conceptuelles ont émergé : rupture, néo-révolution, incompréhension, conciliabules et éviction. Il est toutefois un paramètre qui est passé assez inaperçu : les femmes. En 2014, les médias s’étaient intéressées à elles, avaient étudié leur « comportement électoral », notamment celui des 2 millions d’électrices de feu Béji Caïd Essebsi (BCE, l’ancien président décédé le 25 juillet dernier). Cette fois-ci, le silence médiatique fut assourdissant.
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Et ce silence implique un constat amer : les femmes demeurent un, si ce n’est l’outil marketing politique par excellence. On en parle quand on veut collecter leurs voix ; on les oublie quand cela nous arrange. Mais l’oubli médiatique ne peut être neutre lorsqu’il s’agit d’analyser le comportement électoral de 50 % de population. Il laisse même un vide facilement exploitable par les partis adeptes de l’opportunisme politique.
Bipolarité entre islamistes et modernistes
Qu’on se le dise, les femmes ont bel et bien été l’outil favori du candidat Nabik Karoui, arrivé en deuxième position derrière Kaïs Saïed. Mises en scène, images d’enlacement entre candidat et femmes rurales voire, pire – dans le genre déperdition des valeurs morales -, abus avec l’exploitation de la patente associative au profit de la montée de la côte de popularité. La faim et le froid des unes et des uns n’auront été que le strapontin magique de ce candidat qui se trouve toujours sous les verrous – ce qui pourrait d’ailleurs entraîner la nullité du scrutin.
Est-il admissible, dans le contexte de changement que connait actuellement la Tunisie, de ne pas se poser la question de savoir pour qui ont voté les femmes tunisiennes et pourquoi ? Le fait est que le jeu est plus dangereux qu’une simple bipolarité entre islamistes et modernes – car réellement il n’y en a pas. Les premiers ont changé de politique et se sont dits plus tolérants et les seconds ont montré, lors des sorties médiatiques et des débats, très peu de « modernisme ».
Alors en qui les femmes ont-elles placé leur confiance ? Sur qui ont-elles misé ? Pas de réponse, pas même de chiffres des sociétés de sondage pourtant très actives et médiatisées. Où sont passées les deux millions d’électrices qui jadis ont choisi BCE ? Que sont-elles devenues aujourd’hui ? Le fait de réduire la place des femmes à un débat stérile sur l’égalité d’héritage ne montre-t-il pas qu’on n’a pas encore appris à écouter les femmes, encore moins à les comprendre ?
Message négatif
Du point de vue des candidats, il n’y a eu que deux femmes en lice pour le poste honorifique de président.e de la République. Si le débat sur l’héritage n’a pas avalé les femmes électrices, le plafond de verre semble quant à lui avoir ralenti considérablement l’ambition féminine dans un pays se disant « pionnier » en termes des « droits des femmes ».
Une femme fait toutefois le tour des médias ces jours-ci : Saloua Smaoui Karoui, épouse de Nabil Karoui et cadre-dirigeante chez Microsoft. Un profil qui ne peut que plaire et que l’on aurait aimé voir faire le tour des entreprises et des universités, afin de « booster » les compétences et potentiels féminins, au lieu de l’image polémique relayée. Soit celle de ladite femme à la rencontre de femmes paysannes pour leur transmettre le message de son époux, qui dit-elle avait l’habitude de leur rendre visite afin de s’enquérir de leurs besoins et situation.
Là encore, il s’agit d’un message négatif – du pur paternalisme et de l’aliénation de bas étage. Comment une femme instruite et indépendante encourage-t-elle par ses gestes la dépendance des femmes quels qu’il soient ?
« Présentéisme contemplatif »
Les femmes n’ont pas besoin d’un héros ni d’une quelconque figure ; elles ont besoin de protection la loi et d’encouragements par l’application de cette même loi. Elles ont surtout besoin d’être respectées, et que leur dignité soit préservée, au lieu d’être affichées dans des médias de propagande. Pour rappel, ce n’est pas le personnage de Bourguiba qui a « libéré » les femmes, mais le Code du statut personnel (CSP).
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Il est regrettable de constater que les candidats et leurs programmes apparaissent toujours aussi peu propices au développement des femmes. Nous n’avons pas vu ni entendu l’un d’entre eux parler d’une stratégie de lutte contre les stéréotypes à travers l’éducation, par exemple, ou tout autre moyen de sensibilisation. Pas plus que proposer des mécanismes pour développer l’entrepreneuriat féminin ou lutter contre le plafond de verre dans les entreprises, ni s’intéresser à une éventuelle augmentation de la durée des congés maternité ou à l’amélioration des conditions sinistres des maternités.
Coincés dans l’éternel débat entre islamistes et modernistes, beaucoup en ont oublié l’essentiel – le noyau de la société – et sont ainsi passés à côté de la plaque. Les politiciens ne sont pas seuls à blâmer ; l’élite a elle aussi été frappée d’amnésie. Pas une seule chronique lue en ce sens, pas un seul coup de gueule des animateurs, ni d’ailleurs des animatrices, pourtant fougueuses par moment. « Présentéisme contemplatif » et décadence ont bien été les maîtres-mots de ce cirque électoral.

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.