Au Yémen, Ras al-Ara a tout de l’enfer pour les migrants africains

Plus de 150 000 migrants sont arrivés au Yémen en 2018, soit 50 % de plus que l’année précédente, selon l’OIM.

L’agence américaine Associated Press (AP) vient de publier un récit glaçant sur le sort de certains migrants en provenance de la Corne de l’Afrique. Qui, une fois parvenus de l’autre côté du Golfe d’Aden, sur les rives du Yémen, vivent un enfer, entre extorsions et tortures, dans le village côtier de Ras al-Ara.

Zahra, une Ethiopienne de 20 ans dont l’AP a obtenu le témoignage, a fait partie d’un groupe de 300 Africains entassés dans un bateau de contrebande en bois, qui leur a servi à traverser l’étroit détroit entre la mer Rouge et le golfe. A portée d’yeux du rivage yéménite, la jeune femme a vu des hommes armés de fusils automatiques, qui les attendaient. Aussitôt, des histoires de trafiquants brutaux, racontées par des migrants, reviennent à sa mémoire. « Que vont-ils nous faire ? », a-t-elle pensé sur le moment.

« Tourments quotidiens »

Juste après avoir débarqué au Yémen, les trafiquants les ont effectivement « chargés » dans des camions et les ont conduits dans des complexes délabrés, dans le désert situé à l’extérieur de Ras al-Ara. Zahra sera emprisonnée pendant un mois, dans une cabane au toit de tôle, soumise à la chaleur et à la faim. Ses geôliers lui ordonnent même d’appeler chaque jour chez elle, « pour implorer sa famille de verser 2 000 dollars » à ses ravisseurs. Elle dit ne pas avoir de famille tout en plaidant pour sa liberté.

Ras al-Ara se situe au sud-ouest du Yémen, à quelques encablures de Djibouti. Capture d'écran Google map

Au lieu de se voir relâchée, les trafiquants l’ont violée, témoigne-t-elle. Ainsi que les 20 autres femmes qui se trouvaient avec elle. « Ils ont utilisé chacune des filles. Chaque nuit, il y avait un viol », a-t-elle affirmé à l’AP. D’après l’agence, presque tous les migrants qui arrivent à Ras al-Ara sont emprisonnés dans des enceintes dissimulées, pendant que leurs familles sont harcelées pour « cracher » des rançons. « Comme Zahra, ils sont soumis à des tourments quotidiens allant des coups et des viols à la famine », révèle l’AP.

Avec ses tortures systématiques, Ras al-Ara ressemble à un véritable enfer dans le « voyage éprouvant » de 1 400 kilomètres, entre la Corne de l’Afrique et l’Arabie saoudite – le royaume, riche en pétrole, ressemble à une eldorado pour les populations de la Corne de l’Afrique. « Les migrants quittent leur pays les pieds sablés avec le rêve d’échapper à la pauvreté. Ils traversent les montagnes et les déserts, les tempêtes de sable et les températures de 113 degrés, survivent grâce aux miettes de pain et à l’eau salée des anciens puits », relate l’agence de presse américaine.

« Externalisation »

A Djibouti, de longues files de migrants descendent en file indienne le long des pentes montagneuses jusqu’à la plaine côtière rocheuse, où beaucoup voient la mer pour la première fois et montent finalement à bord des bateaux. Certains trouvent leur chemin en toute sécurité à travers le Yémen, déchiré par la guerre depuis 5 ans, jusqu’en Arabie saoudite, pour ensuite être capturés et renvoyés de l’autre côté de la frontière. Les chanceux arrivent dans le royaume pour gagner leur vie en tant que serviteurs et ouvriers, la plupart du temps.

Sur cette photo du 15 juillet 2019, des migrants éthiopiens montent à bord d'un bateau sur la côte inhabitée à l'extérieur de la ville d'Obock, Djibouti, la côte la plus proche du Yémen. Des dizaines de milliers de migrants d'Afrique de l'Est partent chaque année pour le Yémen dans l'espoir de passer en Arabie saoudite, où de bons emplois attendent. Mais beaucoup de ceux qui atterrissent dans la ville yéménite de Ras Al-Ara sont victimes d'extorsion, de viol et de torture. (AP Photo/Nariman El-Mofty)

Mais d’autres sont bloqués dans le « cauchemar du Yémen » – dans une certaine mesure parce que l’Europe a fermé ses portes, « externalisant » les migrants vers d’autres pays. L’Union européenne a effectivement commencé à payer des gardes-côtes et des milices libyens pour y arrêter les migrants, bloquant l’autre grande voie de sortie de l’Afrique de l’Est, à travers la Libye et la Méditerranée vers l’Europe, rappelle l’agence de presse. Le nombre de traversées méditerranéennes a ainsi chuté, passant de 370 000 en 2016 à un peu plus de 56 000 cette année.

« Contrôles aux frontières »

Entre-temps, plus de 150 000 migrants sont arrivés au Yémen en 2018, soit 50 % de plus que l’année précédente, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette année, plus de 107 000 personnes étaient arrivées à la fin septembre, ainsi que peut-être des dizaines de milliers d’autres que l’organisation n’a pas été en mesure de retracer – ou qui ont été enterrées dans des tombes le long du chemin.

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Bruxelles a même contribué à rendre la « route vers le Yémen plus dangereuse », estime l’AP : « Financée par l’UE, l’Ethiopie a pris des mesures contre les passeurs de migrants et intensifié les contrôles aux frontières. » Résultat : les migrants sont incités à se tourner vers des « trafiquants peu fiables, empruntant des chemins plus dangereux et augmentant le risque d’abus. » Beaucoup de ces migrants, d’ailleurs, se retrouvent à Ras al-Ara.

 

Pour lire la suite du reportage de l’AP.

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