Au Yémen, Riyad a « détourné » des armes occidentales

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30.11.2018

Certains pays, comme la France et les Etats-Unis, refusent toujours de suspendre leurs ventes d’armes aux Saoudiens.

Les parties au conflit yéménite ont donc bien utilisé des armes occidentales. Une enquête menée par l’Arab Reporters for Investigative Journalists (ARIJ), citée par le Guardian, vient de démontrer que la coalition saoudienne, qui intervient au Yémen depuis mars 2015, pour épauler l’armée loyaliste face aux rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, avait remis du matériel militaire américain et britannique à certaines milices engagées aux côtés des Saoudiens. Mais également, et de manière plus surprenante, aux groupes djihadistes Al-Qaïda et Etat islamique (EI), qui luttent pour leur propre territoire, précise le quotidien anglais. Véhicules blindés sophistiqués, lances-roquettes, grenades et fusils font ainsi partie de la liste des armes achetées à des entreprises européennes et américaines. Ceci alors que les textes internationaux (le Traité sur le commerce des armes surtout) interdisent la vente de matériel militaire à des pays en guerre.

« Utilisateur final autorisé »

L’ARIJ, qui diffusera tous les détails de son enquête dans un documentaire intitulé The End User – en arabe ; disponible en anglais dans deux semaines -, a analysé des milliers de d’informations, issues d’émissions, de médias sociaux et de groupes Internet fermés. Tout en effectuant des recherches intensives pour vérifier l’origine des armes. Ce que l’organisation reproche à la coalition saoudienne, mais également aux fournisseurs et aux gouvernements ? D’avoir enfreint les lois de certification des « utilisateurs finaux ». Ceci depuis 2015. L’année d’après, en 2016, les Nations unies (ONU) avaient d’ailleurs lancé un avertissement à ce sujet, regrettant une « responsabilité laxiste » de la part de Riyad et craignant que les armes ne finissent sur le marché noir.

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D’après le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), il existe deux manières de détourner des armes. « Soit elles passent des mains de l’utilisateur final autorisé à celles d’utilisateurs non autorisés, soit elles sont utilisées de manière non autorisée ou illégale par l’utilisateur final autorisé ». Problème : jusqu’à présent, aucune pénalité n’a jamais été imposée en cas d’infraction. Les certificats délivrés lors d’une transaction, précisant que seuls les pays acheteurs utiliseront les armes, servent simplement de garantie aux Etats exportateurs. Les informations rassemblées par l’ARIJ, qui décrédibilisent totalement les certificats saoudiens et émiratis – Abou Dabi occupe l’un des tout premiers rôles au sein de la coalition arabe -, rejoignent en tout cas les enquêtes, publiées ces derniers mois, sur les nombreuses violations du droit international concernant le commerce des armes.

« Pré-famine »

Le sujet est d’ailleurs ressorti dans les médias, ces dernières semaines, à la « faveur » de l’affaire Jamal Khashoggi, le journaliste saoudien sauvagement assassiné le 2 octobre dernier, au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie. Et dont tout indique que Mohamed ben Salman (dit MBS), le prince héritier saoudien, en est l’instigateur. Ce qui n’a pas empêché Donald Trump, au tropisme saoudien connu, de lui réitérer son soutien très récemment. Alors que, d’un autre côté, l’administration américaine avait semblé hausser le ton face à Riyad, le 30 octobre dernier, exigeant que le conflit yéménite cesse. Washington, à en croire une déclaration récente du président américain, n’entend toutefois pas stopper son lucratif commerce des armes avec les Saoudiens.

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Certains pays, comme très récemment le Danemark, la Finlande et l’Allemagne, ont en revanche annoncé qu’ils suspendaient leurs exportations d’armements aux pays en guerre au Yémen – alors que le conflit est considéré par l’ONU comme « la pire crise humanitaire du monde », 14 millions de personnes souffrant de « pré-famine ». Le gouvernement suisse, de son côté, a déclaré ne pas être au courant de l’utilisation d’armes venant de son propre pays, mais a assuré qu’il allait enquêter. Quant à la France, dont tout indique que des armes ont pu être utilisées au Yémen, son président de la République, Emmanuel Macron, a balayé d’un revers de main l’éventualité d’arrêter de fournir l’Arabie saoudite en matériel militaire. Riyad étant le deuxième client de l’industrie tricolore de l’armement.

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