Dès l’annonce de la mort du Président Déby le 20 avril, un conseil militaire de transition est installé, dirigé par son fils Mahamat Idriss Déby, qui devient, à ce titre, président de la République.
Quelle transition pour le Tchad après 30 ans de règne d’Idriss Déby ? La mise en place d’un Conseil militaire de transition (CMT), dirigé par le général Mahamat Idriss Déby, fils de l’ancien président, démontre la volonté du pays de privilégier la stabilité et la lutte contre le terrorisme à une transition civile qui n’adviendra que dans 18 mois, avec l’organisation d’élections démocratiques.
« Un allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel », selon Florence Parly, ministre française des Armées. Un homme « qui a défendu son pays et son peuple face à l’insécurité et en dépit des difficultés », selon les cinq groupes régionaux des Nations unies. « Il n’avait peur ni du champ de bataille ni de la ligne de front, et c’est là qu’il a payé le prix ultime » s’émeut la Communauté des Caraïbes. La pluie d’hommages née au lendemain du décès du président tchadien Idriss Déby le 20 avril dernier, à la suite de violents accrochages entre l’armée et les forces rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), est symptomatique du soutien quasi-unanime dont il bénéficiait au niveau international.
Idriss Déby : une posture de « No Deal » avec les djihadistes
Souvent dénoncé pour certaines dérives autoritaires et soupçons d’enrichissement personnel au Tchad, Idriss Déby a toujours réussi à conserver la confiance des organisations supranationales et des chefs d’État étrangers. Mais aussi d’une large partie des populations tchadiennes. Il doit cette réussite à sa mobilisation sans faille contre le terrorisme islamique au Sahel. Une lutte à mort menée par les forces armées tchadiennes d’une part. Mais aussi, dans un format multilatéral, en coopération avec les autres pays de la région et la France, dans le cadre des opérations Serval et Barkhane. La force multinationale mixte africaine, initialement orientée à sa création en 1994 contre la criminalité autour du lac Tchad, s’est transformée dès les années 2000 en un outil militaire destiné à la lutte contre la prolifération des mouvements djihadistes armés au Sahel. Un enjeu stratégique devenu l’une des priorités sécuritaires des Africains, comme des Européens.
L’approche antiterroriste d’Idriss Déby, fondée sur le recours systémique aux forces armées, lui a valu le soutien inconditionnel de l’Élysée. « Le Tchad est sans doute l’État qui est le plus proche des positions défendues par Paris, dans la mesure où il ancre sa vision de la crise dans une intervention relativement axée sur l’instrument militaire » affirmait la politologue Niagalé Bagayoko à TV5 Monde le 16 février 2021, au lendemain du sommet du G5 Sahel. Une posture offensive qui rompt surtout avec celle d’autres pays du G5 Sahel, qui tendent à privilégier la négociation avec les mouvements djihadistes. Notamment le Mali, dont les forces armées ont subi de sévères revers dans le Sahel et qui fait face à l’émergence, depuis plusieurs années, d’un terrorisme endogène, majoritairement composé d’« enfants du pays », auquel se mêlent des logiques intercommunautaires et tribales. Un véritable casse-tête opérationnel.
En effet, depuis le début des années 2000 et la fin de la guerre civile algérienne, la zone sahélienne est un territoire-sanctuaire pour un ensemble de groupes djihadistes liés à al-Qaïda ou à l’État islamique et, parfois, agissant indépendamment de toute allégeance à une superstructure djihadiste internationale. Sur un territoire désertique de plus de 3 millions de kilomètres carrés, les interventions militaires sont très délicates, notamment face à des groupes armés très mobiles et, qui par la violence ou la séduction, ont la capacité de soumettre les populations locales. La mort d’Idriss Déby rebat donc — partiellement — les cartes politiques au Tchad. Mais pas la volonté affichée du nouveau gouvernement tchadien de considérer la sécurité au Sahel comme sa priorité.
Mahamat Idriss Déby : une continuité sans transition démocratique ?
Au Tchad, la transition a été simple. Dès l’annonce de la mort du Président Déby le 20 avril, un conseil militaire de transition est installé, dirigé par son fils Mahamat Idriss Déby, qui devient, à ce titre, président de la République. Une transition, certes non démocratique, mais qui garantit au pays une certaine forme de stabilité dans la période incertaine qui a suivi la mort du Président Déby.
Mahamat Idriss Déby jouit d’un certain prestige militaire, notamment pour son action victorieuse contre les forces rebelles de Timan Erdi à la bataille d’Am-Dam. Ou encore pour son rôle dans la bataille de Tigharghâr, menée par une coalition franco-tchadienne contre un panel de mouvements terroristes, affiliés à l’État Islamique (Boko Haram) ou Al-Qaïda (AQMI, Ansar Dine, MUJAO…). La victoire de ses forces contre les rebelles du FACT à la fin du mois d’avril dernier contribue à lui conférer une légitimité supplémentaire. La communauté internationale lui a d’ailleurs accordé son assentiment, tout en lui imposant certaines contraintes. Le CMT a 18 mois pour préparer des élections démocratiques, avant de repasser la main à un pouvoir civil. Ce que Mahamat Idriss Déby semble prêt à faire. Est-ce qu’il renoncera à se présenter à la prochaine présidentielle, comme demandé par une partie de l’opposition et de l’Union africaine ? Rien n’est encore fixé. Mais, pour le moment, la quête de stabilité prime pour les partenaires traditionnels du Tchad. Et Mahamat Idriss Déby, par son nom et son parcours, semble l’incarner.
Moins de quinze jours après l’installation du conseil militaire de transition, la junte militaire met en place un gouvernement de transition, nommant par décret quarante ministres et secrétaires d’État avec, à leur tête, le Premier ministre Albert Pahimi Padacké. Le gouvernement de transition semble même tenter de concilier les différentes tendances politiques, accordant à des personnalités bien connues de l’opposition certains ministères stratégiques. Lydie Beassemda, ancienne candidate à l’élection présidentielle et cheffe de file du Parti pour la démocratie et l’indépendance intégrales, prend le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Acheikh Ibn Oumar, ancien réfugié politique en France et opposant de longue date à Idriss Déby, est nommé ministre d’État à la Réconciliation et au Dialogue. Mahamat Ahmat Alhabo, ancien candidat à l’élection présidentielle de 2016 pour le Parti pour les libertés et le développement, est nommé Garde des Sceaux. Beaucoup d’anciens ministres du dernier gouvernement sont reconduits dans leur fonction. Une forme d’union nationale, certes encore dominée par des ministres issus de la dernière majorité présidentielle, qui constitue malgré tout « une surprise » pour un militant associatif, pourtant fortement hostile au CMT.
