Au Moyen-Orient, Mohamed ben Salman est l’homme à suivre en 2018

Le prince héritier saoudien détonne par ses idées progressistes mais sa politique internationale est inefficace voire très critiquable.

Il brouille les pistes. Envoie valser les règles établies. Souhaite insuffler un changement radical en Arabie saoudite. Et n’hésite pas, pour ce faire, à embastiller les notables du pays pour des raisons officielles de corruption. Quant aux racines religieuses et rigoristes du royaume, très profondes, le temps est venu, selon lui, de les couper. Depuis quelques mois, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), le prince héritier saoudien, occupe le devant de la scène nationale – voire régionale. Et ne le quittera vraisemblablement pas de sitôt. Si 2017 l’a vu véritablement éclore, 2018 l’a d’ores et déjà couronné « personnalité politique du Moyen-Orient à suivre ». En attendant de le faire roi en son royaume ?

En novembre dernier, le « fils préféré » du roi Salman – un titre quasiment officiel -, dirige la plus grande purge que l’Arabie saoudite ait connu ; des princes, des hommes d’affaires et quelques anciens ministres, entre autres, sont arrêtés et « incarcérés » dans l’hôtel du Ritz-Carlton de Riyad, prison dorée pour Saoudiens hauts-placés. Au total, plus de 200 personnes sont contraintes au repos, dont certaines ont d’ores et déjà été relâchées, comme les princes Mishaal et Faisal al-Saoud, fils de l’ancien monarque Abdallah. Une « opération coup de poing » pour la politologue Fatiha Dazi-Héni, spécialiste de la Péninsule arabique, dont le but est limpide. MBS souhaite « s’appuyer sur de nouvelles alliances » et se tourner vers « une nouvelle génération ».

Avancées sociétales

Lui le benjamin d’une fratrie – ou demi-fratrie – royale surdiplômée, qui n’a pas fait son éducation dans les amphithéâtres d’universités – ou si peu – mais aux côtés de son roi de père, a compris ce qu’était le pouvoir et comment gouverner. En s’adressant à la jeunesse – alors que 70 % de la population saoudienne a moins de 35 ans. A l’inverse, la purge historique de novembre est un message envoyé à la vieille classe saoudienne. Qui sait, désormais, qu’elle est étroitement surveillée. L’opération anti-corruption a ainsi permis de récupérer une partie de la fortune colossale qui échappe à l’Arabie saoudite ; 100 milliards de dollars ont été subtilisés aux princes et consorts, qui ont donc sorti le chéquier pour retrouver leur liberté.

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Depuis qu’il a dérobé à son cousin, Mohamed ben Nayef, le titre de prince héritier, en juin dernier, MBS, qui cumule les casquettes – vice-Premier ministre, ministre de la Défense, président du Conseil des affaires économiques et chargé de la stratégie pétrolière du pays -, fait tout pour démontrer que l’Arabie saoudite est un pays « modéré, tolérant et ouvert ». Il y a du boulot. Mais le futur monarque s’y attèle. L’an prochain, les femmes – dont le traitement pourrait s’apparenter, au minimum, à une mise sous curatelle française – auront le droit de conduire et les cinémas, salles obscures de divertissement, ouvriront par dizaines après plus de trente ans d’interdiction. Des avancées sociétales – réelles – signées Mohamed ben Salman.

Cercle absolutiste

L’homme fort d’Arabie saoudite est par ailleurs très lucide sur la question religieuse. Le wahhabisme, courant rigoriste de l’islam et véritable religion d’Etat, est trop coercitif et véhicule une image passéiste du royaume ? Il faudra faire sans – ou presque – dorénavant. MBS entend revenir « à l’islam qui nous suivions auparavant – un islam modéré, ouvert au monde et à toutes les religions » déclarait-il au Guardian en octobre dernier. « Nous n’allons pas passer trente ans de notre vie à combattre les pensées extrémistes, nous allons les détruire maintenant et immédiatement » avait-il ajouté, en demandant « l’aide des autres pays du monde pour transformer le royaume conservateur en une société ouverte qui donne plus de pouvoir aux citoyens. »

Populiste, Mohamed ben Salman ? Assurément. Autoritaire, également. Cette année, le prince héritier a effectivement réussi à transformer la monarchie collégiale saoudienne en petit cercle absolutiste. Une révolution, au même titre que ses réformes sociétales. « Le système politique saoudien reposait sur une dynastie familiale, avec un jeu complexe entre différentes factions issues de chaque fils du roi fondateur de l’Arabie saoudite moderne qui se partageaient le contrôle de l’Etat », explique Stéphane Lacroix, professeur à Sciences Po et connaisseur du royaume. « A un moment donné, le clan le mieux placé allait s’emparer du pouvoir [mais] Salman a saisi sa chance en 2015 en propulsant son propre fils. »

Introduction en bourse

En lui confiant un grand nombre de ficelles donc. « Mister Everything », comme le surnomment certains diplomates occidentaux, est ainsi – et surtout – chargé de conduire la politique économique saoudienne, dont le plan « Vision 2030 » représente le pilier principal. L’idée majeure ? Privatiser et s’ouvrir aux investissements étrangers afin de décorréler croissance et pétrole, alors que la chute des prix du baril a lourdement impacté les finances publiques du royaume. L’an prochain devrait par exemple avoir lieu la mise en bourse de 5 % du capital d’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, qui abreuvera un fonds souverain de quelque 2 000 milliards de dollars. Soit le plus important au monde.

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« Cette introduction en bourse est plus qu’un symbole car elle intervient à un moment charnière pour l’Arabie saoudite », selon François-Aïssa Touazi, ancien diplomate spécialiste des pays du Golfe. « Un nouveau modèle de société se construit dans le royaume et de nouvelles alliances se nouent à l’extérieur pour faire face aux enjeux internationaux ». Parfois de manière surprenante. Comme cette coalition avec les Etats-Unis et Israël – alors que Riyad n’entretient pas de relations diplomatiques officielles avec les Israéliens – que Mohamed ben Salman a appelée de ses vœux. Ceci afin de contrer l’influence grandissante de l’Iran, la bête noire des Saoudiens, dans la région. Au Liban notamment.

Impulsivité

Début novembre dernier, MBS avait ainsi sommé le Premier ministre du pays du Cèdre, Saad Hariri, d’annoncer sa démission depuis Riyad, officiellement à cause de l’ingérence de Téhéran dans les affaires libanaises, selon ce dernier. La République islamique iranienne soutient effectivement, depuis sa création en 1982, le Hezbollah, mouvement chiite libanais qui prend part au gouvernement depuis 2016, alors que les Saoudiens ont toujours épaulé les sunnites du Courant du futur, le parti de M. Hariri. Pour Antoine Ajoury, journaliste à L’Orient-Le Jour, il s’agissait alors clairement d’un « coup » du prince héritier, dont la stature « va-t-en-guerre » l’avait sans doute poussé à prendre une décision à la hâte.

C’est d’ailleurs le reproche que font beaucoup d’observateurs à Mohamed ben Salman. Son impulsivité le pousse à prendre des décisions très critiquables. Ou largement inefficaces. Comme l’instauration d’un blocus diplomatico-économique autour du Qatar, en juin dernier, pour contraindre le petit émirat à cesser ses relations avec l’Iran – toujours lui. Le prince héritier misait sur l’essoufflement de Doha, qui a pu s’accommoder au contraire de la situation, en multipliant les échanges avec Téhéran et Ankara, par exemple, ainsi qu’en obtenant le soutien diplomatique de la France et de l’Allemagne au mois d’août. C’était la seconde erreur de politique internationale de MBS.

Entente avec l’Iran

La première a commencé à s’esquisser deux ans plus tôt. En mars 2015, celui qui n’est pas encore prince héritier mais vient tout juste de débarquer sur la scène saoudienne, décide d’intervenir militairement au Yémen voisin. Le pays fait alors face depuis plusieurs années à une insurrection de rebelles houthistes, des combattants chiites qui luttent contre le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi. Fidèle à sa ligne de conduite anti-Iran, Mohamed ben Salman, qui ne supporte pas de voir des milices soutenues par Téhéran à la frontière saoudienne, prend la tête d’une coalition de pays arabes et bombarde les positions houthistes au Yémen. Résultat : fin 2017, le bilan est catastrophique. Près de 10 000 morts (selon des chiffres officiels bloqués), dont beaucoup de civils, et plus de 20 millions de personnes dépendantes de l’aide humanitaire.

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En 2018, la communauté internationale devrait se pencher sérieusement sur les cas de violation des droits de l’Homme, dans ce pays, alors que le conflit a longtemps été considéré comme « oublié ». Un dossier très épineux pour MBS, qui devra, s’il veut conserver son image de progressiste sympathique, nécessairement agir pour la désescalade de la guerre au Yémen. Dont il tient, avec les Emirats arabes unis, toutes les ficelles. Sur la scène intérieure, également, le jeune leader a tout intérêt à approfondir les progrès sociétaux décidés ou envisagés cette année. A l’égard des femmes, surtout, mais également vis-à-vis de la distanciation entre pouvoir et religion. On est bientôt en 2018, après tout.

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