Affaire Khashoggi : le procès saoudien est « tout sauf justice »

Selon Agnès Callamard, le royaume d’Arabie saoudite devrait être tenu responsable du meurtre du journaliste saoudien.

Une experte des droits humains des Nations unies (ONU) a exprimé jeudi dernier son « double choc » à la suite des condamnations à mort prononcées quelques jours plus tôt en Arabie saoudite contre cinq personnes à l’issue d’un procès à huis clos pour le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre 2018.

« Les bourreaux ont été reconnus coupables et condamnés à mort. Etant opposée à la peine de mort, cela constitue un premier choc pour moi », a déclaré dans un communiqué la rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard.

L’Etat saoudien responsable

« Ceux qui ont ordonné les exécutions sont non seulement en liberté mais ils ont à peine été touchés par l’enquête et le procès. C’est là le deuxième choc. C’est l’antithèse de la justice et un manque de respect inacceptable envers les victimes », a ajouté l’experte indépendante de l’ONU.

Selon la rapporteure spéciale, « en vertu du droit international relatif aux droits de l’Homme, le meurtre de M. Khashoggi est une exécution extrajudiciaire dont le royaume d’Arabie saoudite doit être tenu responsable ». Agnès Callamard a ajouté que l’affaire du meurtre du journaliste exige qu’une « enquête sur la chaîne de commandement pour identifier les commanditaires, ainsi que ceux qui ont incité, permis ou fermé les yeux sur le meurtre, comme le prince héritier », Mohamed ben Salman, soit diligentée.

Elle regrette également que « le procès [n’ait pas] pris en compte les responsabilités de l’État », alors que la CIA, par exemple, avait rapidement conclu à la culpabilité des têtes couronnées – celle du prince héritier surtout.

Autre source de frustration, pour Agnès Callamard : « Les 18 fonctionnaires saoudiens, présents en tant que tels au consulat saoudien à Istanbul pendant plus de 10 jours, ont nettoyé la scène du crime. C’est une entrave à la justice et une violation du Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les exécutions arbitraires », a-t-elle affirmé.

Un meurtre planifié en haut-lieu

Selon l’experte onusienne, « la présence d’un médecin légiste inscrit dans l’équipe officielle du meurtre au moins 24 heures avant le crime, et discutant du démembrement de M. Khashoggi deux heures avant qu’il ne se produise réellement, indique aussi clairement que le meurtre était planifié ».

La rapporteure spéciale a également fait remarquer que le juge semblait conclure que le meurtre du journaliste saoudien était un accident, puisqu’il ne semblait pas y avoir d’intention – même s’il a tout de même condamné les accusés à la peine de mort, en violation flagrante du droit international relatif aux droits de l’homme, précise-t-elle.

« La peine de mort ne devrait être prononcée que dans les conditions les plus strictes d’un procès équitable, dont l’une est appliquée en cas de meurtre intentionnel », selon Agnès Callamard, rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

L’experte a également critiqué le déroulement des audiences à huis clos, alors qu’aucune des justifications de la tenue non publique d’un procès en droit international ne s’appliquait… Quant aux accusés, Agnès Callamard a bien redit qu’ils avaient déclaré, à plusieurs reprises au cours des audiences, qu’ils « obéissaient aux ordres ».

Menace pour la sécurité nationale

Elle a également déploré que le conseiller personnel du prince héritier, Saoud al-Qahtani, n’ait pas été inculpé et reste libre. Ceci malgré le fait qu’il avait exigé l’enlèvement de M. Khashoggi au motif qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale, comme l’a déclaré publiquement le procureur. Le consul d’Arabie saoudite à Istanbul, Mohammad al-Otaibi, qui avait accepté que son établissement et son bureau servent à la commission du crime, a été déclaré non coupable, souligne également le communiqué de l’experte.

« L’impunité pour le meurtre d’un journaliste peut généralement révéler de la répression politique, de la corruption, des abus de pouvoir, de la propagande et même de la complicité internationale ; et tous ces éléments sont présents dans le meurtre par l’Arabie saoudite de Jamal Khashoggi », a finalement conclu Agnès Callamard. Qui avait, en juin dernier, après 6 mois d’enquête, publié un rapport sur le meurtre du journaliste saoudien, voix discordante bien connue (et crainte) du royaume.

Selon la CIA, mais également de nombreux observateurs internationaux, les faits portent clairement la marque de Mohamed ben Salman, que l’on dit volontiers brutal et impulsif. Prêt à tout, en tout cas, pour redorer le blason de « son » royaume depuis qu’il a accédé au rang de prince héritier en 2015.

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